mardi 1 novembre 2016

Étoile solitaire | Lucia di Lammermoor, Opéra de Paris 23/10/2016

J'ai mis un peu de temps à pondre ce billet. Plusieurs raisons: d'abord, la mise en scène d'Andrei Serban, vue et revue, notamment avec Yoncheva et Fabiano, ne m'inspire pas beaucoup de commentaires, à part: pas très jolie mais plutôt intelligente. Lucia femme-enfant perdue à la fois dans un monde d'hommes et dans un univers psychiatrique. Bon. Ça ne donne guère de belles images, ne va pas sans quelques facilités (les scènes d'agressions sexuelles...), oblige la soprano à de l'équilibrisme... mais vieillit somme toute plutôt pas trop mal. Passons.

Secondo, il y a la direction de Riccardo Frizza que je qualifierai d'anodine, comme souvent pour moi ces derniers temps à l'Opéra de Paris (Michele Mariotti excepté). On manque quand même de grands chefs invités dans cette maison. Les choeurs ont, eux, mis un peu de temps à se chauffer (est-ce dû au fait que c'était une représentation d'après-midi?). Leurs interventions au 1er acte n'étaient franchement pas terribles. Attaques molles, volume parfois limité, justesse limite... bon ils se sont rattrapés au 2e acte mais cela reste bien routinier.

Tertio, tout le cast sauf la prima donna était du domaine du "bien sans plus". Artur Rucínski est un Ashton bien chantant mais trop uniformément brutal, et si il a de beaux aigus la voix est quand même très monochrome, or tout l'art du Bel Canto réside justement dans les colorations. Même remarque pour Piero Pretti. Il passe, phrase bien, a une très bonne diction, mais chante tout avec la même couleur, un rien métallique. Du coup, on a un Edgardo assez falot... Michael Fabiano dans le même rôle il y a quelques années c'était autrement enthousiasmant! Rafal Siwek en Raimondo fait le job avec le professionnalisme qu'on lui connaît, l'Alisa de Gemma Ní Bhriain est intéressante et a un joli volume, mais enfin, si on fait le compte, c'est un peu court...

Heureusement, il y avait l'étoile montante du chant Donizettien, celle pour qui j'étais venue, Pretty Yende. Et elle a brillé de mille feux, astre solitaire dans cette morne reprise. Lumineuse au milieu de tant de laideur scénique, flottant sur sa balançoire ou à cinq mètres du sol sur une bien vilaine structure de bois, sa présence et son incarnation sont saisissantes. Sa Lucia est une femme qui vit dans son rêve mais se bat pour en faire une réalité, une personnalité forte qui aimante tout et tous autour d'elle. C'est simple, on ne voit qu'elle et on s'ennuie dès qu'elle sort de scène. Vocalement c'est aussi un festival de couleurs, de variations, de contre-notes, exécutées avec une facilité et un naturel confondants, tant la voix est bien assise sur un médium pulpeux et un souffle inépuisable. Et toujours avec ce volume notable qui lui permet d'emplir pleinement Bastille, si peu adapté au premier XIXe siècle... Bellini et Donizetti devraient se donner à Garnier! Ce n'était pas pour Pretty Yende une prise de rôle (elle l'a chanté notamment à Berlin) mais niveau impact on peut dire qu'une grande Lucia est née à Paris, dans la lignée de Mariella Devia (avec qui elle a d'ailleurs travaillé le rôle) et June Anderson, qui avait créé cette mise en scène. Alors si aujourd'hui, à grand renfort de promotion par Sony, tout semble sourire à cette nouvelle étoile de l'art lyrique, on ne peut que s'en réjouir, car ce sourire elle nous le rend si bien!

Un extrait de son air de la folie est écoutable ici.

(Photos: © Sebastien-Mathe)