mercredi 28 janvier 2015

"Ô Charlotte!" - Werther, Teatro dell'Opera di Roma

J’en suis à ma 2e écoute du Werther donné ce mois de janvier à Rome, plus précisément de la soirée radiodiffusée du 21/01. Sachez que si vous l’avez ratée, vous avez raté quelque chose de remarquable (mais ça peut s’arranger, voir plus bas)!

Moi qui suis imprégnée de la vision de l’œuvre de Michel Plasson, cela m’a d’abord permis de découvrir celle de Jesus Lopez-Cobos, qui est tout aussi intéressante. Elle est plus lyrique, avec des solos de l’orchestre plus en dehors, des contrastes plus appuyés, des effets plus dramatiques... Les chanteurs deviennent des solistes parmi d’autres, intégrés au tissus orchestral : ça se tient très bien et j’aime la tension que cela rajoute, sans pour autant alourdir la pâte orchestrale.

Côté chanteurs, je passerai sur une Sophie (Ekaterina Sadovnikova) à jolie voix mais bien peu idiomatique (que l’on m’amène le chef de chant sur le champ !) et sur un couple Schmitt/Yohann (Pietro Picone et Alessandro Spina) très correct mais qui ne m’a pas emballée.

Très beau Bailly de Marc Barrard, dans la pure tradition française, idem pour l’Albert de Jean-Luc Ballestra, moins barbon que de coutume : un vrai rival pour Werther.

Passons à ce qui fait tout le prix de cette soirée : les 2 protagonistes. Vous allez encore dire que je souffre de "Meli-te aiguë", et je vous répondrai que si c’est pour passer d’aussi beaux moments d’opéra je ne souhaite absolument pas en guérir.

D’ailleurs, la révélation de la soirée pour moi n’est pas tant le Werther de Meli, dont j’avais déjà écouté des extraits sur YouTube et dont je pense beaucoup de bien (j’y reviendrai dans quelques instants) mais bien la merveilleuse Charlotte de Veronica Simeoni. En effet, on a trop souvent des Charlottes soit trop mures soit en défaut de puissance dans le grave. C’est sans doute dû au profil du rôle : un grand mezzo, qu’on appelle "falcon" quand on veut faire le malin en société. J’en ai entendu beaucoup qui ne m’ont pas satisfaite : même Sophie Koch est trop adulte, plus Fricka que Freia, si on veut. Pas de ça chez Veronica Simeoni : la composition est bien celle d’une jeune fille à marier qui doit épouser un autre fiancé que celui qu’elle se serait choisi ; elle est bien la grande sœur de Sophie, pas sa mère… et cela sans du tout sacrifier l’ampleur vocale et le grave (comme c’était par exemple le cas de Gheorghiu dans la version Plasson/Alagna). Si l’on rajoute une attention à la diction du français tout à fait remarquable (à méditer, Madame Koch…), on tient une grande interprète du rôle. Elle en a toutes les facettes : la force, les fêlures, les emportements, la jeunesse… il faut écouter et réécouter cette scène de la lettre ! Alors oui, je sais qu’en France on n’aime programmer dans l’opéra français que des françaises ou à la rigueur des américaines, mais vraiment on souhaiterait qu’elle puisse faire ses débuts à Paris si l’on y reprend dans les années à venir la production de Benoit Jacquot.

Je termine toujours, par principe, par mon avis sur le rôle-titre. Passons donc pour conclure au Werther de Francesco Meli. Il y avait pour moi jusqu’ici deux visions, également valables, du personnage de Werther : une vision "wagnérienne", dans la tradition de Goethe et du "Sturm und Drang" et une vision "opéra français", plus légère et lumineuse, dans la continuité du Faust de Gounod. La première vision est idéalement incarnée par Jonas Kaufmann et ses ténèbres, la seconde par Roberto Alagna, et sa lumineuse diction de notre langue.

Et bien à l’écoute de cette soirée romaine, j’en rajouterais une troisième : celle d’un Werther "fin XIXe", qui se rapprocherait de Puccini, avec une lumière et des élans de passion qui en feraient un frère de Rodolfo. Le Werther de Meli penche pour moi de ce côté-là. Comme toujours avec ce chanteur, la ligne, la musicalité, les couleurs sont remarquables de soin et de recherche, la diction du français également - si on excepte quelques voyelles, mais je chipote (et j’avais entendu bien pire avec Villazon !). "Pourquoi me réveiller" est splendide, avec un aigu souverain et une reprise aussi mélancolique que le premier couplet avait été intense. En plus, il est enchaîné avec la suite sans pause pour les bravos (là où "même Kaufmann s’arrête" - petit clin d’œil à l’interview donnée par Meli à la pause).

J’aime et je rajoute donc un Werther de valeur à ma liste d’interprètes préférés de cette œuvre, si chère à mon cœur.

Pour ceux qui ont raté cette soirée et veulent se faire un avis : http://www.todoperaweb.com.ar/musica/opera/massenet-werther-id-9255.html

Je joins quelques photos de la mise en scène de Willy Decker, que je n'ai hélas pas pu voir. Copyright Yasuko Kageyama

mercredi 21 janvier 2015

Don Giovanni in the City - Opéra de Paris 20 janvier 2015

Premier spectacle de la saison 2014-2015 pour moi hier à l'Opéra de Paris: la reprise, revue et corrigée pour Bastille, du Don Giovanni mis en scène par Michael Haneke, avec en bonus la reprise du rôle titre par Erwin "Bogoss" Schrott.

Sur cette mise en scène, il a été écrit beaucoup de mal comme de bien. Personnellement, je n'ai rien contre les transpositions modernes tant que les partis pris fonctionnent. Et dans ce cas précis je trouve que c'est le cas. La transposition de la lutte noblesse / serviteurs, hommes / femmes à la vie de bureau se tient, en tous cas j'y ai retrouvé des références qui me parlent, moi qui y ai mon quotidien de cadre surbookée. De même, le jeu d'acteur assez poussé m'a séduite, même s'il se fait au détriment de la tension musicale en créant des temps morts entre les récitatifs. Rien de choquant donc, une mise en scène intelligente, pas laide et qui donne autrement à réfléchir que certaines mises en images empoussièrées.

Côté orchestre, Alain Altinoglu prend trop son temps à mon goût, mais il est vrai que les silences imposés par la mise en scène n'aident pas à maintenir la tension dramatique. De même, ses tempi fluctuants ont créé de nombreux décalages avec le plateau à l'acte 1, c'est dommage. Heureusement, tout ce petit monde s'est retrouvé à l'acte 2 et la seconde partie était très réussie.

Côté chanteurs, on passera sur le ténor chevrotant et assourdi de Stefan Pop, qui a transformé chaque intervention d'Ottavio en supplice pour mes pauvres oreilles. Moi qui adore les 2 airs, j'en suis venue à regretter que ce ne soit pas la version de Prague qui n'en comporte qu'un! Une prestation assez indigne d'un opéra de premier plan. On espère pour ce chanteur qu'il ne s'agit là que d'une méforme passagère. De même, le Leporello de Adrian Sâmpetrean est peu sonore, falot, et rate totalement son Catalogue, le comble. Heureusement que la mise en scène ne lui demande pas de se mettre en avant.

Dans les plus, la très belle Zerlina de Serena Malfi, sonore et bien phrasée. Presque surdimensionnée. Le Masetto d'Alexandre Duhamel aurait sans problème été à sa place en Leporello. Que n'ont-ils échangé les 2 chanteurs!

Elvire sèche et un peu triste de Marie-Adeline Henry, à la voix indurée et raide, mais qui se rattrape avec un "Mi tradi" habité et très émouvant. Anna un peu trop véhémente de Tatiana Lisnic, qui mange ses partenaires dans les ensembles mais décoiffe dans Non mi dir. Sur le Commendatore de Liang Li, dur de juger car la voix est amplifiée. C'est de la triche!

Reste donc le Don de la soirée. Soyons honnête, j'étais venue pour lui. ERWIIIIIIIN Schott, mon Leporello préféré dans la version de Guth, que j'entendais pour la première fois live et dans le rôle titre. La voix est surprenante de projection. Elle remplit sans problème le grand vaisseau de Bastille. Elle est aussi ronde et chaude, avec comme corollaire un côté un peu lourd qui embarrasse la vocalise. Mais elle en impose, le "La" optionnel du final est glorieux et le crooning de latin lover fonctionne à fond. Si l'artiste était un peu plus scrupuleux sur la mesure et ne rajoutait pas des notes... par contre, les récitatifs sont fantastiques. Joués, dits, comme rarement. Schrott est une bête de scène. Rien n'existe quand il est là, sa présence avale tout. Un Don Giovanni magnétique, sensuel, uniformément pervers mais terriblement séduisant. Je craque!

Dans les coups de gueule: après la splendeur de la Scala, Dieu que Bastille parait moche, froid et sans charme! Et ce public de catharreux qui se racle la gorge sans retenue et applaudit n'importe quand... et une mention spéciale sur le Wall of Shame pour le club sandwich lilliputien à 12 euros du bar, à chaque saison plus petit et plus cher!

[Photos © Vincent Pontet]