dimanche 21 juin 2015

Berlioz à la fête! Le Te Deum à la Philharmonie (20/06/2015)

Hier, la Philharmonie de Paris faisait la part belle aux amateurs. Et voilà qui est bien! Le Te Deum de Berlioz requiert un effectif pléthorique, Babylonien, Ninivite, pour citer Liszt, et c'est une bonne occasion de faire participer des musiciens non-professionnels.

À l'orchestre Les Siècles de François-Xavier Roth s'ajoutaient donc, pour atteindre un chorum de 500 interprètes : le Jeune Orchestre Européen Hector-Berlioz, les Cris de Paris, le Choeur de la Philharmonie du COGE (Grandes Écoles), l'Ensemble Vocal Stella Maris, l'Ensemble Vocal Otrente, la Maîtrise de Radio-France, le Singapore Symphony Children's Choir et des élèves des collèges de Seine Saint-Denis et de Paris. Quelle émotion ça a dû être pour ces derniers, d'entendre les bravos de la Grande Salle qui faisait le plein! Et ils le méritent, tant ils ont fourni un travail de qualité et un engagement sans faille. Toutes mes félicitations aux professeurs de musique qui ont porté ce projet tout au long d'une année (et bravo à la Philharmonie qui cite tous les interprètes sur le programme).

Le résultat fut donc grandiose, colossal. Les contrastes de l'oeuvre impeccablement rendus, fortissimos décoiffants, moments recueillis émouvants, l'ensemble donnait des frissons. Belle prestation solo de Jean-François Borras, sobre et classe. Le tout tenu avec fougue et enthousiasme par François-Xavier Roth. Bravo à ces musiciens qui font ainsi vivre la musique, qui rendent possible que soit donnée une oeuvre hélas trop rare. Ma fille de 10 ans en est sortie ravie, me disant: "maman j'ai adoré c'était génial!", et moi les larmes me sont montées au yeux tellement c'est grand, Berlioz, quand c'est joué avec tant de coeur. Mon seul bémol sera l'orgue électronique : vivement l'inauguration du vrai orgue la saison prochaine!

Avec la Philharmonie de Paris, c'est donc vraiment la Fête de la Musique, et ce tous les soirs. Quand certains critiquent les détails ou la mise en oeuvre (Jean Nouvel...), je voudrais redire quelle joie j'ai à y aller régulièrement, quel merveilleux outil elle est pour la promotion de la musique, qu'elle contribue, par ses prix et sa programmation, à rendre à nouveau populaire, loin du cliquant de Pleyel mais pour le bonheur de tous.

Vivement septembre, que j'y retourne avec toute ma famille, pour en avoir plein les oreilles et voir les yeux pleins d'étoiles de mes filles à la fin des concerts, car elles sont le public de demain!

mercredi 10 juin 2015

Hommage au chant grégorien à la Philharmonie (8 juin 2015)

Soirée hommage au chant grégorien lundi dernier dans une Philharmonie 2 hélas à moitié vide... Certes, Murray Perahia jouait dans la grande salle, mais rien que pour le RIAS Kammerchor ce concert était largement aussi intéressant! Laurence Equilbey, présente dans la salle, ne s'y était, elle, pas trompée.

Le choeur et l'orchestre (le Münchner Kammerorchester) s'échauffent avec le Geistliches Lied de Brahms, oeuvre de jeunesse qui porte en elle les prémices du Requiem Allemand.

Puis arrive le 1er volet de ce dyptique hommage au chant grégorien, avec la création française de Disputatio, oeuvre commandée par le RIAS Kammerchor à Pascal Dusapin (et créée mondialement 2 jours plus tôt à la Philharmonie de Berlin). Sur un texte du grand pédagogue médiéval Alcuin, le compositeur a mis en musique le dialogue entre le jeune prince Pépin, second fils de Charlemagne, et son maître Albinus. Le jeune prince est campé par un petit choeur d'enfants ou de voix blanches -- ce soir-là trois merveilleuses jeunes filles, d'une justesse, d'une couleur et d'une rondeur de timbre proprements hallucinantes. Lui répond le choeur, incarnant maître Albinus. L'occasion pour le RIAS Kammerchor de montrer toute sa palette technique, et elle est impressionnante! L'orchestre, qui comprend notamment des cloches plaques, parfois ponctue et parfois participe au sentiment d'étrangeté, via un glassharmonica, surprenant instrument qui fait tourner des disques de verre. La musique, certes cérébrale mais aussi éminemment sensuelle, de Dusapin colle avec beaucoup de pertinence à la scansion du texte latin. La précision obtenue de tous par le chef Alexander Liebreich en cette soirée est absolument bluffante. Seul le meilleur choeur de chambre du monde pouvait ajouter à son répertoire une oeuvre aussi exigeante. J'émets quand même une réserve : avec une durée de 40 minutes, je trouve l'oeuvre un peu longue. Cela n'a pas empêché Pascal Dusapin (son fils dans les bras) d'être très applaudi aux saluts.

Excès de longueur, voilà bien une chose dont on ne peut se plaindre pour le second volet du dyptique : le Requiem de Duruflé. Pour moi, cette oeuvre géniale (que j'ai souvent chantée comme choriste) passe toujours trop vite! Et surtout quand elle est magnifiée, sublimée par ce merveilleux, ce grandiose RIAS Kammerchor. Ils sont la perfection. Équilibre, couleurs, nuances, précision millimétrée, ils ont tout. Ils m'ont fait pleurer de joie et je ne saurais leur dire assez merci pour ce qui est vocalement le plus beau Requiem de Duruflé que j'aie jamais entendu. Et c'est d'autant plus dommage de n'avoir pu disposer que d'un positif d'orgue au son maigrelet... Et dire qu'il y a de si belles orgues dans l'amphithéâtre, à l'étage du dessous! Quelle idée de les avoir mises là et non dans la salle des concerts! Solistes corrects sans plus, Stephan Genz émouvant mais pauvre en aigu, Stella Doufexis sobre mais avare de legato et au timbre désormais rêche. Belle prestation du Münchner Kammerorchester, mention spéciale aux 3 trompettes spatialisées au balcon droit. Une grande exécution justement ovationnée par les happy few qui étaient dans la salle.

Je ne saurais donc trop vous recommander de courir entendre le RIAS Kammerchor dès que vous en avez l'occasion, avec eux toute oeuvre touche à la divinité.

PS: le président de la Philharmonie était présent pour la création de Disputatio, mais disparut après l'entracte, peut-être pour courir entendre Perahia? En tous cas, il a manqué quelque chose!

dimanche 7 juin 2015

Deux amours de poètes (Heine Liederabend, 6 juin 2015)

La soirée avait pourtant failli mal commencer: tout d'abord, une bagarre entre automobilistes qui vous rappelle que vous êtes Porte de Pantin et non dans le 8e, puis une étourderie qui vous fait attendre un long moment devant la salle de la Philharmonie 2, avant de réaliser que le concert a lieu à l'amphithéâtre, salle dont j'ignorais l'existence, tant ce petit bijou est bien caché dans les sous-sols de la Cité de la Musique! Heureusement nous avons réalisé à temps notre erreur et nous étions à l'heure et bien placés pour ce Liederabend consacré à Heine, organisé dans le cadre de la Biennale d'Art Vocal, sous l'égide de Thomas Quasthoff. 

Heureux choix que cette petite salle! L'endroit est absolument idéal pour l'exercice piano / chant. Acoustique hyper précise, proximité avec les interprètes... et ce décor créé par le splendide orgue moderne en fond de salle, comme une métaphore des forêts du Lied allemand.

Le programme, remarquable de cohérence, associait des Heine Lieder mis en musique par Liszt et Schumann (avec comme pièce centrale Diechterliebe) et des poèmes de Heine récités. Pour les premiers, c'est le jeune baryton suisse Manuel Walser et le pianiste Justus Zeyen (complice de longue date de Quasthoff) qui officient et pour le second Thomas Quasthoff lui-même, certes retraité (hélas) du chant mais qui n'a rien perdu de son talent de diseur.

C'est en effet lui qui fait le lien entre les différents Lieder, en interprétant les poèmes de Heine de sa voix de stentor, qui même sans chanter sait restituer les atmosphères et les couleurs de l'univers très Romantisme Noir de Heine: on y croise preux chevaliers désespérés dans des forêts profondes, demoiselles pâles, sorcières et flots implacables du Vater Rhein. C'est impressionnant et prenant, d'autant plus que le concert est surtitré ce qui permet de suivre pour les non germanistes.

Lorsqu'un poème se termine, Quasthoff passe le relais à son élève Manuel Walser, qui à tout juste 26 ans est déjà bardé de prix de Lied. À mon sens ces prix sont mérités! La voix est bien conduite, pas particulièrement puissante ni remarquable par sa couleur mais maîtrisée sur toute la tessiture, avec des aigus bien timbrés et des graves sonores. Mais surtout, Walser, qui étudie avec Quasthoff à la Hochschule de Berlin, a hérité du talent de diseur de son maître.
De la rêverie de "Tragödie" au délire halluciné de "Belsatzar", il sait, chose essentielle dans le Lied, créer un monde pour chaque morceau. De même, dans Diechterliebe, il sait être tour à tour le jeune poète à la pâle figure, le narrateur moqueur, le Wanderer rageur, d'autant qu'il est remarquablement accompagné par Justus Zeyen, qui sait suivre les intentions du chanteur sans jamais le couvrir. J'ajouterai que la fan inconditionnelle de Quasthoff que je suis ne saurait qu'être satisfaite qu'il forme une nouvelle génération de Liedersänger ayant la même approche interprétative que lui: franche, sans afféteries ni maniérismes, où le texte et la musique existent par eux-mêmes, sans surinterprétation.

L'ovation réservée aux trois interprètes prouve que le public ne s'y est pas trompé. Hier soir, un immense serviteur du Lied nous a désigné son héritier!


jeudi 4 juin 2015

Yutaka Sado fait danser la Philharmonie (concert du 3 juin 2015)

Programme résolument XXe siècle pour l'Orchestre de Paris, hier à la Philharmonie : Escales de Jacques Ibert, le Concerto en fa majeur de George Gershwin et Petrouchka d'Igor Stravinski, le tout sous la baguette du Maestro Yutaka Sado.

Grande découverte pour moi qu'Escales. Rythmé, imagé, enlevé : tout l'art de la miniature de Jacques Ibert, que je ne connaissais que via sa musique pour piano (si vous aimez, je vous recommande le superbe disque de mon ami Jean-Yves Sébillotte, piano solo de l'orchestre de l'Opéra de Paris). L'Orchestre de Paris et Sado sont dans leur élément: les bois sont merveilleux, ça danse, ça claque, on voit passer ruines romaines, chameaux et belles andalouses. Une réussite.

Je n'en dirais pas autant hélas du concerto en fa majeur de Gershwin. L'orchestre et le chef, élève de Bernstein, ne sont pas en cause : mes réserves viennent plutôt du pianiste cubain Jorge Luis Prats. Il a certes un jeu puissant, très rythmé, mais ça manque totalement de swing et de douceur. C'est très brut, là ou Gershwin sait être planant. Cela n'empêche pas le pianiste d'être très applaudi, ce qui le conduit à nous gratifier de deux bis pleins d'humour et de fantaisie, beaucoup plus réussis.

Pour le final, on a droit à une version remarquable de Petrouchka: quels pupitres de vents magnifiques! Et quels cuivres! Mention spéciale au trompettiste, superbe dans son solo. Yutaka Sado danse au pupitre, tient l'ensemble d'une main de velours, c'est précis, en place, brillant. Bravo et merci, Sado sensei!

En bonus, si vous aussi vous aimez Ibert, voici le lien pour écouter le disque "Miniatures" de Jean-Yves Sébillotte. http://www.qobuz.com/fr-fr/album/ibert-miniatures-jean-yves-sebillotte/3375250105704