samedi 26 décembre 2015

Traduttore, traditore? (Roméo et Juliette - Comédie Française)

Je ne parle pas souvent de mon parcours mais il faut que j'explique un peu pour qu'on comprenne ce qui va suivre.
Petit 1, j'ai fait des études de littérature anglaise (précisément, de Moyen Anglais - je suis une Chaucerienne) et comme il se doit pour une angliciste, j'adore Shakespeare.
Petit 2, je n'ai jamais supporté les traductions. Je me suis mise à l'Italien pour lire la Divina Commedia dans le texte (et comme je suis une grande malade le 1er livre en Italien que j'ai acheté a été l'intégrale des Sonnets de Pétrarque), et à l'Allemand parce que Goethe, Heine ou Schiller en VF, ce n'est juste pas possible. Et oui, les langues ont une musique. Et pour moi, une traduction ne restitue donc qu'un texte boiteux, auquel manque une part que je considère comme essentielle: le ton, le style, la voix en somme de l'auteur. Cela vaut encore plus pour des oeuvres en vers! Je n'imagine même pas Racine ou Hugo en anglais, privés de ces alexandrins magiques qui font une grande partie de leur prix.
Petit 3, Romeo and Juliet fait partie des pièces du Barde que je peux réciter en entier. Je trouve d'ailleurs que j'aurais fait un intéressant Mercutio.

Tout ce préambule pour expliquer qu'il fallait vraiment les merveilleux acteurs du Français, une mise en scène d'Eric Ruf et l'envie de faire découvrir Shakespeare à ma fille aînée pour que je supporte 3h de cette infâme traduction commise il y a des lustres par l'écolier François-Victor Hugo et qui a hélas toujours droit de cité, pour une raison qu'aucun Shakespearien ne s'explique tant elle est nulle. Heureusement, les fantastiques comédiens du Français s'en affranchissent tout au long de la pièce pour en moderniser le ton et, récitant dans ma tête mon texte original, j'ai pu me concentrer sur le reste.

Parlons donc de la représentation d'hier. La mise en scène d'Eric Ruf n'appelle que des éloges: c'est simple dans les décors mais très efficace, créant d'emblée un ailleurs entre Sicile et années 30 (quoique la période ne soit, comme le lieu, pas facile à déterminer et plus suggérée qu'imposée). Les comédiens, tous excellents, dansent, chantent, occupent tout cet espace, même dans sa hauteur avec une scène du balcon proprement vertigineuse. Magnifiques costumes de Christian Lacroix, notamment ce costume de madone funèbre à l'Espagnole qui enserre Juliette dans son tombeau.

Côté acteurs, les tourtereaux sont parfaits: Suliane Brahim allie avec bonheur une grâce infinie et une force étonnante, notamment dans sa voix qu'elle a hélas tendance à "pousser" alors que c'est totalement inutile car elle "porte". Elle me fait penser, dans ses gestes comme dans son intonation, à Anne Brochet. Jérémy Lopez, au jeu très naturel, fait pencher Roméo vers le comique, ce qui va bien à ce personnage d'anti-héros. En conséquence, leur scène du balcon tire plus vers le rire que vers la mièvrerie et c'est une très bonne chose. Les deux complices de Roméo, Benvolio (Nazim Boudjenah) et Mercutio (Pierre-Louis Calixte), forment avec lui un beau trio de masques, renforçant encore l'aspect comédie de la pièce. C'est ce qui a sans doute poussé le metteur en scène à diviser le rôle de Frère Laurent en deux prêtres, incarnés par Bakary Sangaré (qui joue également le Prologue) et Serge Bagdassarian, leur permettant de former un vrai duo de comparses. Cela fonctionne très bien, d'autant que les deux timbres de voix sont vraiment à l'opposé l'un de l'autre: basse contre ténor "alla" Michel Sénéchal. Comique enfin, même dans sa colère, le génial Capulet de Didier Sandre... portant tablier de dentelles! Par contre je n'ai pas aimé le Tybalt de Christian Gonon, bien trop âgé pour un blanc-bec, et la Nourrice de Claude Mathieu, pas assez truculente à mon goût et qu'on aurait dit interchangeable avec la Lady Capulet de Danièle Lebrun, un comble... mais peut-être est-ce voulu? Roméo et Juliette peut en effet être lue comme une pièce sur l'inversion des rôles.

Une belle interprétation, qui rend bien justice à la veine comique de Shakespeare, même s'il y manque à mon sens le tragique que seuls peuvent apporter les vers. Et oui, on en revient toujours au problème de jouer une traduction. Vigny s'en était bien rendu compte, qui traduisit en alexandrins la tragédie d'Othello (le More de Venise, une des rares traductions réussies d'une pièce de Shakespeare). Pour créer le Drame, il faut du grotesque mais aussi du sublime... on en manquait un peu, hier.

Photos Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

jeudi 17 décembre 2015

Tops et Flops de 2015

Voici venu le temps de faire le bilan de mon année classique-lyrique 2015!

MES TOPS:

- Il Trovatore à Amsterdam, avec une mise en scène superbe d'Alex Ollé (à retrouver à l'ONP début 2016!) Et surtout un cast de rêve : Francesco Meli, le plus beau des Manrico, Carmen Giannattasio, divine Leonora, Violeta Urmana, terrifiante  Azucena et Simone Piazzola, d'une infinie noblesse en De Luna. Grandiose, mon plus beau souvenir de cette année.
http://dilettantecoloratura.blogspot.com/2015/10/amour-et-vendetta-sur-fond-de-grande.html

- Ariadne auf Naxos à l'opéra de Paris, pour ce couple mythique qu'y ont formé Karita Mattila et Klaus-Florian Vogt, même si je n'oublie pas l'étincelante Zebinette d'Elena Mosuc et le ténor brillant de Cyril Dubois.
http://dilettantecoloratura.blogspot.com/2015/02/mythique-naxos.html

- La 9e de Beethoven par les Berliner Philharmoniker, qui m'ont fait comprendre en une soirée pourquoi ils sont le plus grand orchestre du monde. Je n'oublierai jamais les vagues de son qui m'ont submergée ce soir-là.
http://dilettantecoloratura.blogspot.com/2015/11/la-joie-c-communicatif-beethoven-9e.html

MES FLOPS:

- Le Puccini Album de Jonas Kaufmann. Trop barytonnant, trop maniéré, trop marketing. Too much. J'aime pas. Fini la Kaufmannolâtrie pour moi, je vire définitivement Melistérique.

- L'affaire Dutilleux, ou comment l'inculture et la veulerie de certains politiques a été jusqu'à salir la mémoire d'un grand homme, à faire peser le soupçon de la collaboration sur un des premiers musiciens résistants. Heureusement que certains, dont le site Forum Opéra, se sont mobilisés pour faire rétablir la vérité.

- Le public parisien: bruyant, toussant, cuistre, retardataire, huant pour un oui ou pour un non, souvent ignorant des oeuvres, conservateur dans l'âme... il m'exaspère! Ouvrez vos esprits et vos oreilles, emmenez vos gosses, découvrez, aimez ou n'aimez pas, mais gardez toujours à l'esprit le travail des artistes et des techniciens, qui mérite votre respect. C'est aussi ça, le vivre ensemble.

mardi 15 décembre 2015

L'humour et la grâce (Sabine Devieilhe et Pygmalion à la Philharmonie, 14/12/2015

J'ai toujours quelques craintes avant un récital : cet exercice qui consiste à enfiler comme des perles des airs les uns à la suite des autres ne m'a jamais vraiment convaincue. Je me demandais donc à quoi m'attendre pour ce récital Mozart de Sabine Devieilhe, qui risquait de se transformer en égrenage d'airs de concert, un exercice que je ne supporte que par la grande Edita Gruberova.

Et bien, ô miracle, il n'en fut rien. Centré autour du concept d'Académie mozartienne, programme calqué sur un concert effectivement donné en 1783 dans une Philharmonie reconfigurée pour l'occasion (écran noir devant l'orgue, scène reculée, pas de places à l'arrière), cette soirée a su, avec bonheur, alterner humour et grâce.

Sabine Devielhe est capable de charmer autant par cette délicieuse bluette qu'est "oiseaux si tous les ans" (le premier air que j'ai chanté quand j'ai commencé à étudier le chant... un choix qui surprend pour le moins) que par des morceaux de bravoure comme "Vorrei Spiegarvi" (dont elle brave toutes les difficultés techniques: les 3 contre-mi pianissimo, le double saut d'octave), "Vanne t'affretta" de Lucio Silla et ses interminables vocalises, et bien sûr l'inévitable "Der Hölle Rache", exécuté avec une telle sûreté que la chanteuse se permet un écho pianissimo sur la 2e volée de contre-fa.

L'Ensemble Pygmalion, sous la direction de Raphaël Pichon, n'est pas en reste, qui dans ses interventions solo fait sonner la symphonie Haffner comme un écho de l'ouverture de Don Giovanni, surprend par l'allant de ses danses allemandes ou émeut lors d'un adagio immatériel où se distingue la 1ère violon.

Mais en plus de ces moments de grâce mozartienne, nous avons eu droit à une surprise juste avant l'entracte, les artistes ayant décidé de nous improviser une scénette, une "académie", autour d'un air de Glück pioché dans un chapeau par une main innocente du public. Pianiste qui fait sa diva, soprano qui s'endore ou brode sur "nein, nein, nein", timbalier qui se vexe et s'en va de dépit, bois et pianoforte qui se disputent ou se passent le thème comme un témoin (quand ils ne lisent pas le journal), le tout en musique: c'est drôle, enlevé, inattendu et formidablement rafraîchissant! Enfin un peu d'humour dans le monde guindé des concerts. On en redemande!

Ce fut donc un grand moment de plaisir que cette "Académie pour les soeurs Weber", servi par de magnifiques artistes, qui savent communiquer leur joie de faire de la musique. Un beau cadeau de Noël, avec 10 jours d'avance!

dimanche 13 décembre 2015

Life on Mars? (La Damnation de Faust - Opéra de Paris 13/12/2015)

Les lyricophiles ne peuvent l'ignorer: la production de la Damnation de Faust mise en images par Alvis Hermanis fait débat, voire polémique. J'apporte donc ma contribution à la discussion, à chaud, puisque je sors tout juste de la 3e représentation.

Alors, ai-je aimé? Dans l'ensemble oui. Sachant que la Damnation est une oeuvre que je connais par coeur ce qui donc me rend exigeante.

Je précise que, pour moi, on ne peut pas "mettre en scène" la Damnation. Tout comme l'Enfance du Christ, c'est plus une série de scènes qu'un opéra. La structure de l'oeuvre est distendue, l'action ténue, les personnages difficiles à caractériser. Dès lors, toutes les visions, si on peut les suivre, me conviennent. J'adhère assez bien au parti pris d'Hermanis de faire de Faust un scientifique, double du grand Stephen Hawking, rêvant de partir sur Mars avec une poignée d'aventuriers, transformés en rats de laboratoire. Se suivent alors des images de cet espace infini auquel on aspire et de cette terre que l'on va abandonner, dans toute la beauté de sa vie foisonnante : baleines, herbes, spermatozoïdes, coissance d'un embryon in utero... (Je n'ai pas vu les escargots, les goujats des 2 premières représentations ayant tant gloussé qu'on a cru bon de les retirer. Les gens ne savent vraiment pas se tenir). Tout cela se tient. Dominique Mercy nous délivre une performance extraordinaire en Stephen Hawking et les danseurs du corps de ballet, dans des chorégraphies d'Alla Sigalova, alternent grotesque et sublime, comme il sied à une oeuvre romantique. Pas de quoi huer donc, encore moins susciter une bronca. Du reste, il n'y en eut pas. Mes réserves portent exclusivement sur une absence de direction d'acteur, qui laisse les chanteurs errer à l'avant-scène et les choeurs se déplacer en troupeau, mais j'ai passé un bon moment, bien meilleur par exemple que pour l'Aida de Py ou l'indéfendable Iphigénie en Tauride de Warlikowski. Et puis cette apothéose finale d'Hawking-Mercy est un bijou de poésie qui rachète tous les petits défauts de l'ensemble.

Satisfaction aussi côté chanteurs, qui confirment qu'ils constituent un cast de référence: Jonas Kaufmann, très bon même si toujours plus barytonnant et abusant de la voix mixte, mais semblant peu investi, à part dans son Invocation à la Nature; Sophie Koch plus intelligible en français que de coutume, très émouvante, notamment dans son Roi de Thulé; Bryn Terfel enfin, qui sonne désormais plus clair que Kaufmann (un comble) mais qui reste un Méphisto démoniaque! Quel immense chanteur! Il dit son texte comme personne (ces consonnes!), possède une palette infinie de nuances, de couleurs...  le tout avec une simplicité et une économie dans son jeu qui laisse rêveur. Il est à se damner, je signe!

Ma principale déception, car il y en a une, c'est la direction de Philippe Jordan. C'est mou! C'est terne! C'est sans vie! Bref, ce n'est pas Berlioz! Cette marche de Radetzky qui tombe à plat... Rendez-moi Stanislas Lefort! Du coup, les choeurs, perdus et pas assez stimulés, ne rendent pas justice à ces morceaux géniaux que sont par exemple le choeur des étudiants et soldats et le Pandémonium. C'est bien, mais ce n'est pas fantastique. Que c'est dommage, car si je suis indulgente pour la mise en scène, là il y a crime de lése-Berlioz! Ce n'était vraiment pas la peine de supprimer les escargots si c'était pour que Jordan se montre aussi tonique qu'eux. La prochaine fois, pour Berlioz, que l'ONP fasse venir Sokhiev ou Nagano, qui sauront rendre justice à cette merveilleuse musique qui ne souffre pas la tiédeur.

En conclusion, un spectacle qui n'a rien selon moi du ratage rapporté par la presse, même s'il n'est pas parfait. Remanié (sans les escargots), amélioré (avec une bonne direction d'acteurs), mieux dirigé (avec un peu de nerf), il pourrait même être génial.

Photos: ONP; D. Sanguinetti et AFP.

mercredi 9 décembre 2015

Un ténor et une soprano en or! (Giovanna d'Arco à la Scala, diffusion TV)

Oh joie! Cette année encore la "Prima" scaligère était diffusée, certes en léger différé, sur Arte! J'ai donc pu voir cette Giovanna d'Arco qui marque le retour, tant attendu et tant mérité, de Francesco Meli à la Scala, 10 ans après sa dernière apparition, délai aussi long qu'incompréhensible s'agissant de celui qui incarne, pour moi, le retour du grand style du ténor italien.

J'avais une idée de la fête vocale à laquelle on allait avoir droit, puisque j'ai l'enregistrement de la version salzbourgeoise d'il y a 3 ans. Et je ne peux que me réjouir que les deux principaux protagonistes, Anna Netrebko et son Carlo VII attitré,  aient encore amélioré leurs interprétations. Ils sont splendides. Elle, dont la pâte vocale aussi ronde que lumineuse, se joue de toutes les difficultés d'un rôle qui sollicite toute la palette belcantiste; lui, vibrant, racé, impeccable aussi bien dans le registre héroïque que dans la douceur des duos d'amour. Vraiment une paire de chanteurs en or.

En or au propre autant qu'au figuré, car P. Caurier et M. Leiser n'ont pas lésiné sur le clinquant pour la mise en scène. À commencer par le look "total gold" de Meli, qui lui donne tantôt l'air d'une magnifique statue (et là, qu'il est beau!) et tantôt hélas, au hasard d'un plan malencontreux, d'un droïde de Star Wars. Encore plus mal lotie est Anna Netrebko, qui passe la moitié de l'opéra en chemise de nuit du plus pur style sac de pommes de terre. Une si grande chanteuse mérite mieux, non?
Mais ce n'est pas tant le look de cette production qui m'a gênée, ni le parti-pris de faire de l'ensemble de l'action un délire de psychotique (le livret de Solera tiré de Schiller est de toutes façons bien faiblard), mais plutôt ce côté appuyé, sur-expliqué, de chaque effet de mise en scène, comme si le spectateur était un crétin ayant besoin qu'on lui assène toutes les idées 3 fois pour comprendre... Messieurs les metteurs en scène, votre public a un cerveau, merci de vous en souvenir!

Côté seconds rôles, choeurs et orchestre, c'est impeccable, comme toujours à la Scala, surtout sous la baguette du Maestro Chailly, qui sait magnifier Verdi, même dans une de ses oeuvres mineures.

En conclusion, un retour réussi pour cette Giovanna d'Arco, 150 ans après sa dernière représentation à la Scala, qui méritait bien les 11 minutes de bravos aux saluts!

Photos: Teatro alla Scala

lundi 7 décembre 2015

People Have The Power! (U2 Innocence and Experience Tour - Bercy 06/12/2015)

Une fois n'est pas coutume: hier j'ai accompagné mon mari à un concert Pop. Il adore U2, et moi j'aime bien certaines chansons, donc je suis venue.

Premier décalage "culturel": je ne comprendrai jamais pourquoi ils écrivent 19h30 sur le billet quand le concert commence à 20h45, mais passons...

Le concert commence lorsque retentit "People Have The Power" de Patti Smith et U2 entre alors en scène, pour 27 chansons (on ne se moque pas du public) et une féerie d'images sur grand écran.

Bonne surprise: Bono chante beaucoup mieux "live" que je ne le craignais. Il réussit remarquablement toutes les grandes ballades: "With Or Without You" superbe, "Every Breaking Wave" en version piano/chant très prenant. Une confirmation aussi: The Edge est un guitariste fantastique et le bassiste assure un max. Le batteur n'est pas en reste, même s'il est aussi expressif qu'un robot neurasthénique.

Et pourtant, malgré tous ces bons points, j'ai ressenti une certaine insatisfaction, perdue au milieu de tous ces fans quadras-quinquas en furie. Tout cela m'a semblé un peu froid. Très pro, très léché, mais avec un certain manque d'âme, malgré tout le préchi-précha écolo-religioso-pacifiste de Bono entre les morceaux. Certains tubes, notamment les plus punchy, tombent presque à plat: "Sunday Bloody Sunday" qui donne le sentiment d'être expédié, "Vertigo" limite raté.

J'allais rester sur une demi-déception quand, à l'instant de conclure, Bono a lancé: "Please bring on Patti Smith!".

Et là, elle entre, la grand-mère du Punk Rock, frêle et presque timide, ses longs cheveux gris tombant le long de son maigre visage... et se met à sautiller! Et elle entonne, pour de vrai, son "People Have The Power", elle envoie cette énergie brute, ce rugissement, cette flamme qui m'a un peu manqué pendant le reste du concert. Je me lève, je danse, je saute aussi. Enfin je rentre dans le concert. Et oui, je suis définitivement plus Rock que Pop, et en conclusion, je vous pose là ce bijou qui a fait le bonheur de ma soirée!

https://youtu.be/e469wZERcYg

dimanche 8 novembre 2015

La joie c'est communicatif! (Beethoven, 9e Symphonie, 07/11/2015)

Bizarrement, le Berliner Philharmoniker était jusqu'à hier le seul grand orchestre que je n'avais jamais entendu live. J'avais donc bien choisi mon programme: leur répertoire de prédilection: les symphonies de Beethoven et surtout ma préférée, la 9e. Oui je sais, c'est banal de dire ça, mais moi j'aime toujours mieux quand ça chante à un moment ou un autre et puis celle-là, c'est religieux: je la connais par coeur, tous les moments me parlent et me transportent.

Donc hier, j'ai pris une grosse claque. Physiquement. Je ne m'étendrai pas sur l'interprétation de Rattle, d'abord parce que je ne suis pas assez connaisseuse en interprétation beethovénienne et ensuite parce que mon ressenti était tel que la tête s'est mise en veilleuse le temps de l'exécution de l'oeuvre. Ce son! Une déferlante de son, colossal, avec des dynamiques impressionnantes: pianissimos incroyables, crescendos de folie, fortissimos qui décoiffent... la pâte sonore est presque palpable, c'est incroyable. L'unisson des pupitres, où tous sonnent comme un seul (ces contrebasses! ces vents! ces cors...), pas un coup d'archet qui dépasse, les attaques parfaitement homogènes... on comprend soudain pourquoi, malgré toute la qualité des autres, c'est le meilleur orchestre du monde. Plus qu'un orchestre, en fait: un groupe de solistes qui ont choisi de faire de la musique ensemble. Ils jouent à fond, en communion avec Rattle, dirigeant sans partition et qui fait se soulever et refluer ces vagues de musique avec jubilation. Extraordinaire.

En plus, au dernier mouvement, le choeur a rejoint le niveau de l'orchestre: le Rundfunkchor Berlin, homogène, clair, précis, n'appelle que des éloges. Je suis mitigée sur le quatuor de solistes (et oui, voix veut dire: "ma tête se remet en marche"): la basse impressionne lors de son entrée (aucune annonce n'a été faite, mais d'après Twitter il semblerait que la basse russe inconnue de mes services qui était au programme ait été remplacée au pied levé et sans annonce de la Philharmonie par Franz-Joseph Selig, ce qui explique peut-être cela, mais de là ou j'étais placée je ne peux pas confirmer), le ténor  (Christian Elsner) se tire de ses solos impossibles avec les honneurs, la mezzo fait le job (la partie est ingrate, jamais en dehors) et Annette Dasch déçoit, comme d'habitude pour moi: voix peu homogène, jolie et ronde dans le médium mais à l'aigu tiré et bas, ça sent l'effort et interprétativement ça n'apporte pas grand chose.

Ce sera ma seule réserve sur cette soirée fantastique, dont je suis sortie émue et enthousiaste, avec au coeur ce que Beethoven a voulu chanter dans cette 9e: la joie.

samedi 17 octobre 2015

Sacré Gergiev!

Enfin de retour à la Philharmonie! Il m'avait manqué, ce grand oiseau de béton gris posé au pied du ciel. Bon, il n'est pas encore complètement terminé, mais la salle est toujours aussi belle et son acoustique toujours aussi géniale pour les grands concerts symphoniques. Et ça tombait bien: hier soir, c'était le London Symphony Orchestra et Valery Gergiev qui officiaient, pour un programme 100% Stravinsky.

Hélas, la Symphonie en Ut m'ennuie toujours autant. Le Stravinsky néo-classique laisse certes la part belle aux instrumentistes, ce qui permet d'apprécier la qualité phénoménale de ceux du LSO (ces vents, ces cuivres!), mais sinon j'ai surtout passé toute l'oeuvre à lutter contre une quinte de toux sournoise et à attendre que ça passe. Heureusement la suite symphonique Le Rossignol correspond déjà beaucoup plus à ce que j'aime chez Stravinsky et on se laisse prendre par ses harmonies chinoises et sa rythmique étrange. Mais bon, comme ma fille de 11 ans le disait à la pause: "Vivement le Sacre!".

Et ça valait bien l'attente. Un seul mot: WOW! Le LSO est vraiment un des meilleurs orchestres dans ce répertoire. La qualité des divers instrumentistes solistes est absolument extraordinaire (les vents sont vraiment monstrueux); l'engagement, l'énergie, enthousiasment l'auditoire, c'est proprement paroxystique! Et Gergiev a du génie. Il sait retenir ou laisser s'envoler ce pur-sang qu'est le LSO, jouer avec les échos, utiliser l'acoustique pour créer des effets... cela va du planant aux coups de fusil, que l'on ne peut obtenir que d'un orchestre aussi hallucinant pour la qualité des attaques. Bref, moi qui suis une inconditionnelle des lectures plus analytiques de Boulez ou Salonen, j'ai été convaincue par cette vision viscérale, plus contrastée... oserai-je dire, très russe? C'est grand, c'est beau, c'est fou, c'est Gergiev!

mardi 13 octobre 2015

Une Aida vraiment céleste

Il est arrivé dans ma boîte aux lettres, ce CD, annoncé à grands renforts de battage médiatique comme l'événement opératique de 2015 : une intégrale studio de Verdi, comme seul peut se le permettre Antonio Pappano dans le contexte morose de l'enregistrement classique... à condition qu'il puisse rassembler un cast qui fait vendre autour d'un opéra à "tubes"!

Voici donc Aida et ses trompettes, sonnant pour l'inestimable Anja Harteros et le désormais inévitable ténor, star de tout enregistrement dont on parle, Jonas Kaufmann.

J'aurais acheté ce CD juste pour Pappano et Harteros, dont je ne doutais pas qu'ils sauraient magnifier une oeuvre que j'ai toujours adorée, mais j'avais de grosses réserves sur Jonas Kaufmann. Ceux qui me lisent sur Twitter ces derniers temps savent qu'il m'agace de plus en plus, car là où il y 10 ans il n'y avait que splendeurs vocales et sex appeal ténoresque, il n'y a plus pour moi aujourd'hui que couleur barytonnale, tics et maniérismes. J'étais donc très circonspecte avant de commencer mon écoute. Et bien, je fus plutôt agréablement surprise, car si elle est loin d'être parfaite ou de référence, c'est une belle version, avec du charme et qui ne suscite jamais l'ennui.

Pappano y est pour beaucoup, qui sait varier les atmosphères, créer des images, être grandiose ou intime lorsqu'il le faut, et toujours vivant et dynamique. Bravo d'ailleurs au choeur et à l'orchestre de l'Accademia di Santa Cecilia, qui sont remarquables.

Côtés chanteurs, tous les second rôles ont été intelligemment distribués. Si Schrott est un peu falot en prêtre, sa voix n'en est pas moins superbe. J'ai aussi trouvé la Sacerdotessa d'Eleonora Buratto (Adina récemment à... Malpensa!) particulièrement bien chantée, avec une voix plus riche que ce qu'on a coutume d'entendre dans le rôle. Tézier a toujours une belle présence vocale, mais son Amonasro m'a laissée assez indifférente, au contraire de Semenchuk, que j'ai trouvée incandescente, avec des aigus absolument radieux. Quel dommage qu'elle ait tendance à poitriner son grave et que sa diction ne soit pas plus claire!

Et Jonas, me direz vous? S'il abuse toujours autant des effets (voix de tête, détimbrage, sombrage...) il dessine malgré tout un Radames touchant, pas tout à fait assez héroïque à mon goût mais qui ne m'a pas autant agacée que je le craignais. Il est bien mieux ici que dans son récent Puccini Album, que j'ai trouvé exaspérant... mais bon, ça manque quand même de soleil et ce n'est certes pas lui qui détrônera Franco Corelli de mon firmament des meilleurs Radames. Par contre, son Aida mérite d'y faire une entrée fracassante! Prodigieuse Anja Harteros! Couleurs, phrasés, diction, tempérament, elle a tout. La plus belle Aida pour moi depuis... depuis Price? Quel dommage qu'à l'issue d'un "O patria mia" d'anthologie elle rate son Ut du Nil, hélas trop bas... mais bon, elle se rattrape dans la scène finale, la plus belle que j'aie entendu depuis Alagna / Gheorghiu dans leur Verdi per Due avec Abbado.

Pour elle, l'Aida la plus céleste de ces 40 dernières années, et pour Pappano, ce CD est donc une acquisition qui vaut la peine!

lundi 12 octobre 2015

Amour et vendetta sur fond de Grande Guerre - Il Trovatore - Dutch National Opera 11/10/2015

Grâce à un ami, grand éplucheur de programmes, j'avais donc décidé d'aller voir ce Trovatore du Dutch National Opera. Il Trovatore, hein, pas le Trouvère, titre de la version française créée par Verdi lui-même, ai-je appris sur un blog bien connu dont l'auteur a bien plus d'érudition que moi.

Et puis, la fan absolue de Francesco Meli que je suis était bien obligée de se déplacer hors de Paris où il ne chante, hélas, pas cette saison... est-ce un effet Lissner? J'espère que non, car il me semble que sous ce dernier, Meli a bien peu chanté à la Scala. Bref, passons.

Donc, pour Meli mais également pour un cast qui dans son ensemble promettait beaucoup (je suis aussi très fan de Simone Piazzola) et une mise en scène d'Alex Ollé de La Fura dels Baus, cela valait bien un aller-retour en Thalys et la laryngite qui va avec (ah, la climatisation dans les trains...).

Commençons par la mise en scène : Ollé transpose l'action échevelée de Trovatore pendant la Grande Guerre. Pourquoi pas? Ça marche très bien. Rien de bien révolutionnaire mais de belles images, avec un dispositif scénique fait de grands monolithes qui tantôt montent, révélant des fosses qui sont soit des tombes soit des tranchées, tantôt descendent, pour créer des espaces plus intimes: château, prison, autel... hormis quand l'un de ces grands blocs tremble sur ses filins et manque d'écraser la Prima Donna, c'est plutôt réussi. Les costumes, De Luna et Cie en soldats allemands et Manrico et les siens en soldats anglais, sont sobres et de bon goût. Et l'attirail du soldat de la Grande Guerre fournit aussi matière à des images choc, comme ces spectres qui émergent des fosses, masques à gaz sur le visage, au moment du "Condotta ell'era in ceppi" d'Azucena : une vision qui fait frémir et donne envie, comme Manrico, de s'écrier "quale orror!". Une belle mise en scène, plus sage que ce à quoi je m'attendais de la part de la Fura dels Baus et que j'aurai plaisir à revoir dans le grand vaisseau de Bastille en janvier.

Mais bon, ce qui m'avait amenée à Amsterdam, c'était d'abord le cast. À tout seigneur tout honneur : commençons par le rôle titre et celui que je voulais à tous prix entendre : Francesco Meli. Il est pour moi aujourd'hui le meilleur Manrico qui soit. Certes, ce blog n'a aucune ambition d'objectivité, mais franchement, qui aujourd'hui est capable de rendre à Manrico toute sa palette de couleurs, de phrasés, de tradition belcantiste sans jamais tomber dans les minauderies? Meli, héritier d'une tradition qui le rattache à de grands noms comme Bergonzi, a apparemment compris que Manrico ne se résume pas à la vaillance de la Pira. D'un "Deserto sulla terra" onirique qui évoque immédiatement le poète qu'est le Trouvère à un "Ah si, ben mio" d'une émotion rare, d'une perfection de ligne que j'ai rarement entendue, avec une dynamique de nuances remarquable et un souffle apparemment inépuisable (j'aimerais un jour comprendre comment il fait car il semble respirer par le nez!)... il EST le personnage, et c'est merveilleux de bout en bout. Et puisqu'il faut bien en parler, sachez que l'aigu de la Pira était beaucoup plus réussi que pour la télédiffusion de Salzbourg l'an passé (et sans la reprise dans le grave sur la 2e note). Enfin, et c'est ce qui m'a suprise, moi qui l'entendais live pour la première fois, la voix est d'une puissance surprenante, dont on se rend mal compte à la télévision ou au disque. Et le timbre, solaire, radieux, si italien, me fait me demander comment j'ai pu un jour apprécier le Manrico de Jonas Kaufmann.

Le second pour lequel j'étais prête à endurer le temps d'un week-end la "gastronomie" batave, c'est le jeune baryton Simone Piazzola. Découvert dans le Boccanegra de la Fenice l'an passé, j'en attendais beaucoup. Et je confirme : c'est un futur très grand. La voix, puissante mais jamais lourde, est d'une longueur remarquable, belle sur toute l'étendue de la tessiture, avec un aigu radieux sans être ténorisant et une noblesse de ton qui séduit immédiatement et qui rend au Comte de Luna son statut de chevalier amoureux, là où il est trop souvent cantonné à un rôle de brute. Et quelle maturité d'interprétation pour un chanteur qui n'a que 29 ans! Son "il balen" est un petit bijou de justesse stylistique et interprétative, qui révèle toute l'humanité de cet amoureux éconduit et... il fait les trilles du premier trio, qu'on n'entend jamais d'habitude! Je le retrouverai avec joie en juin dans Traviata à Paris (un conseil: laissez tomber Placido, c'est Piazzola qu'il faut absolument voir!).

Côté dames, je n'ai rien perdu à la défection de Gubanova initialement prévue : cela m'a permis de réentendre, des années après une Forza parisienne, la grande Violeta Urmana dans un rôle verdien. La voix impressionne toujours et le personnage fascine: son Azucena hallucinée dans "Stride la vampa" fait dresser les cheveux sur la tête. Et quel volume... que pourtant elle sait brider dans ses deux duos avec Meli, pleins de tendresse et de douceur. Une bohémienne de grande classe. Face à elle, la Leonora de Carmen Giannattasio fait mieux que tenir son rang: la voix est puissante (cela me surprend toujours dans un tout petit bout de femme) et ronde sur toute la tessiture (ah, la morbidezza...), et l'aigu est très beau et sans une once d'acidité. S'ajoute à cela une très belle ligne de belcantiste. Le personnage, d'abord timide, s'affirme au fur et à mesure de l'opéra, devenant la femme prête à tout pour sauver son amour. Sa scène finale, extrêmement émouvante, aurait bien mérité une ovation aux saluts... que ce public batave coincé du dimanche après midi a omis de délivrer, provoquant chez la Diva un agacement visible et justifié. Alors tant pis si j'ai fait crisser quelques sonotones en criant "bravo"!

Pour le reste des protagonistes, je soulignerai de beaux seconds rôles (Roberto Tagliavini en Ferrando et Florieke Beelen en Ines), des choeurs somme toute passables (beaucoup de décalages...) et hélas un orchestre dirigé par un bien routinier Maurizio Benini, peinant à insuffler énergie et drame à l'ensemble. C'est le seul reproche que je ferai à cette belle représentation. Où est Daniele Gatti quand on voudrait l'avoir?

En conclusion, je suis ravie de mon week-end, ma saison d'opéra 2015-2016 est lancée en beauté et ma "Melistérie", comme dit mon ami éplucheur de programmes, est devenue définitivement incurable!

Photos by Lieneke Effen, De National Opera and me!

dimanche 21 juin 2015

Berlioz à la fête! Le Te Deum à la Philharmonie (20/06/2015)

Hier, la Philharmonie de Paris faisait la part belle aux amateurs. Et voilà qui est bien! Le Te Deum de Berlioz requiert un effectif pléthorique, Babylonien, Ninivite, pour citer Liszt, et c'est une bonne occasion de faire participer des musiciens non-professionnels.

À l'orchestre Les Siècles de François-Xavier Roth s'ajoutaient donc, pour atteindre un chorum de 500 interprètes : le Jeune Orchestre Européen Hector-Berlioz, les Cris de Paris, le Choeur de la Philharmonie du COGE (Grandes Écoles), l'Ensemble Vocal Stella Maris, l'Ensemble Vocal Otrente, la Maîtrise de Radio-France, le Singapore Symphony Children's Choir et des élèves des collèges de Seine Saint-Denis et de Paris. Quelle émotion ça a dû être pour ces derniers, d'entendre les bravos de la Grande Salle qui faisait le plein! Et ils le méritent, tant ils ont fourni un travail de qualité et un engagement sans faille. Toutes mes félicitations aux professeurs de musique qui ont porté ce projet tout au long d'une année (et bravo à la Philharmonie qui cite tous les interprètes sur le programme).

Le résultat fut donc grandiose, colossal. Les contrastes de l'oeuvre impeccablement rendus, fortissimos décoiffants, moments recueillis émouvants, l'ensemble donnait des frissons. Belle prestation solo de Jean-François Borras, sobre et classe. Le tout tenu avec fougue et enthousiasme par François-Xavier Roth. Bravo à ces musiciens qui font ainsi vivre la musique, qui rendent possible que soit donnée une oeuvre hélas trop rare. Ma fille de 10 ans en est sortie ravie, me disant: "maman j'ai adoré c'était génial!", et moi les larmes me sont montées au yeux tellement c'est grand, Berlioz, quand c'est joué avec tant de coeur. Mon seul bémol sera l'orgue électronique : vivement l'inauguration du vrai orgue la saison prochaine!

Avec la Philharmonie de Paris, c'est donc vraiment la Fête de la Musique, et ce tous les soirs. Quand certains critiquent les détails ou la mise en oeuvre (Jean Nouvel...), je voudrais redire quelle joie j'ai à y aller régulièrement, quel merveilleux outil elle est pour la promotion de la musique, qu'elle contribue, par ses prix et sa programmation, à rendre à nouveau populaire, loin du cliquant de Pleyel mais pour le bonheur de tous.

Vivement septembre, que j'y retourne avec toute ma famille, pour en avoir plein les oreilles et voir les yeux pleins d'étoiles de mes filles à la fin des concerts, car elles sont le public de demain!

mercredi 10 juin 2015

Hommage au chant grégorien à la Philharmonie (8 juin 2015)

Soirée hommage au chant grégorien lundi dernier dans une Philharmonie 2 hélas à moitié vide... Certes, Murray Perahia jouait dans la grande salle, mais rien que pour le RIAS Kammerchor ce concert était largement aussi intéressant! Laurence Equilbey, présente dans la salle, ne s'y était, elle, pas trompée.

Le choeur et l'orchestre (le Münchner Kammerorchester) s'échauffent avec le Geistliches Lied de Brahms, oeuvre de jeunesse qui porte en elle les prémices du Requiem Allemand.

Puis arrive le 1er volet de ce dyptique hommage au chant grégorien, avec la création française de Disputatio, oeuvre commandée par le RIAS Kammerchor à Pascal Dusapin (et créée mondialement 2 jours plus tôt à la Philharmonie de Berlin). Sur un texte du grand pédagogue médiéval Alcuin, le compositeur a mis en musique le dialogue entre le jeune prince Pépin, second fils de Charlemagne, et son maître Albinus. Le jeune prince est campé par un petit choeur d'enfants ou de voix blanches -- ce soir-là trois merveilleuses jeunes filles, d'une justesse, d'une couleur et d'une rondeur de timbre proprements hallucinantes. Lui répond le choeur, incarnant maître Albinus. L'occasion pour le RIAS Kammerchor de montrer toute sa palette technique, et elle est impressionnante! L'orchestre, qui comprend notamment des cloches plaques, parfois ponctue et parfois participe au sentiment d'étrangeté, via un glassharmonica, surprenant instrument qui fait tourner des disques de verre. La musique, certes cérébrale mais aussi éminemment sensuelle, de Dusapin colle avec beaucoup de pertinence à la scansion du texte latin. La précision obtenue de tous par le chef Alexander Liebreich en cette soirée est absolument bluffante. Seul le meilleur choeur de chambre du monde pouvait ajouter à son répertoire une oeuvre aussi exigeante. J'émets quand même une réserve : avec une durée de 40 minutes, je trouve l'oeuvre un peu longue. Cela n'a pas empêché Pascal Dusapin (son fils dans les bras) d'être très applaudi aux saluts.

Excès de longueur, voilà bien une chose dont on ne peut se plaindre pour le second volet du dyptique : le Requiem de Duruflé. Pour moi, cette oeuvre géniale (que j'ai souvent chantée comme choriste) passe toujours trop vite! Et surtout quand elle est magnifiée, sublimée par ce merveilleux, ce grandiose RIAS Kammerchor. Ils sont la perfection. Équilibre, couleurs, nuances, précision millimétrée, ils ont tout. Ils m'ont fait pleurer de joie et je ne saurais leur dire assez merci pour ce qui est vocalement le plus beau Requiem de Duruflé que j'aie jamais entendu. Et c'est d'autant plus dommage de n'avoir pu disposer que d'un positif d'orgue au son maigrelet... Et dire qu'il y a de si belles orgues dans l'amphithéâtre, à l'étage du dessous! Quelle idée de les avoir mises là et non dans la salle des concerts! Solistes corrects sans plus, Stephan Genz émouvant mais pauvre en aigu, Stella Doufexis sobre mais avare de legato et au timbre désormais rêche. Belle prestation du Münchner Kammerorchester, mention spéciale aux 3 trompettes spatialisées au balcon droit. Une grande exécution justement ovationnée par les happy few qui étaient dans la salle.

Je ne saurais donc trop vous recommander de courir entendre le RIAS Kammerchor dès que vous en avez l'occasion, avec eux toute oeuvre touche à la divinité.

PS: le président de la Philharmonie était présent pour la création de Disputatio, mais disparut après l'entracte, peut-être pour courir entendre Perahia? En tous cas, il a manqué quelque chose!

dimanche 7 juin 2015

Deux amours de poètes (Heine Liederabend, 6 juin 2015)

La soirée avait pourtant failli mal commencer: tout d'abord, une bagarre entre automobilistes qui vous rappelle que vous êtes Porte de Pantin et non dans le 8e, puis une étourderie qui vous fait attendre un long moment devant la salle de la Philharmonie 2, avant de réaliser que le concert a lieu à l'amphithéâtre, salle dont j'ignorais l'existence, tant ce petit bijou est bien caché dans les sous-sols de la Cité de la Musique! Heureusement nous avons réalisé à temps notre erreur et nous étions à l'heure et bien placés pour ce Liederabend consacré à Heine, organisé dans le cadre de la Biennale d'Art Vocal, sous l'égide de Thomas Quasthoff. 

Heureux choix que cette petite salle! L'endroit est absolument idéal pour l'exercice piano / chant. Acoustique hyper précise, proximité avec les interprètes... et ce décor créé par le splendide orgue moderne en fond de salle, comme une métaphore des forêts du Lied allemand.

Le programme, remarquable de cohérence, associait des Heine Lieder mis en musique par Liszt et Schumann (avec comme pièce centrale Diechterliebe) et des poèmes de Heine récités. Pour les premiers, c'est le jeune baryton suisse Manuel Walser et le pianiste Justus Zeyen (complice de longue date de Quasthoff) qui officient et pour le second Thomas Quasthoff lui-même, certes retraité (hélas) du chant mais qui n'a rien perdu de son talent de diseur.

C'est en effet lui qui fait le lien entre les différents Lieder, en interprétant les poèmes de Heine de sa voix de stentor, qui même sans chanter sait restituer les atmosphères et les couleurs de l'univers très Romantisme Noir de Heine: on y croise preux chevaliers désespérés dans des forêts profondes, demoiselles pâles, sorcières et flots implacables du Vater Rhein. C'est impressionnant et prenant, d'autant plus que le concert est surtitré ce qui permet de suivre pour les non germanistes.

Lorsqu'un poème se termine, Quasthoff passe le relais à son élève Manuel Walser, qui à tout juste 26 ans est déjà bardé de prix de Lied. À mon sens ces prix sont mérités! La voix est bien conduite, pas particulièrement puissante ni remarquable par sa couleur mais maîtrisée sur toute la tessiture, avec des aigus bien timbrés et des graves sonores. Mais surtout, Walser, qui étudie avec Quasthoff à la Hochschule de Berlin, a hérité du talent de diseur de son maître.
De la rêverie de "Tragödie" au délire halluciné de "Belsatzar", il sait, chose essentielle dans le Lied, créer un monde pour chaque morceau. De même, dans Diechterliebe, il sait être tour à tour le jeune poète à la pâle figure, le narrateur moqueur, le Wanderer rageur, d'autant qu'il est remarquablement accompagné par Justus Zeyen, qui sait suivre les intentions du chanteur sans jamais le couvrir. J'ajouterai que la fan inconditionnelle de Quasthoff que je suis ne saurait qu'être satisfaite qu'il forme une nouvelle génération de Liedersänger ayant la même approche interprétative que lui: franche, sans afféteries ni maniérismes, où le texte et la musique existent par eux-mêmes, sans surinterprétation.

L'ovation réservée aux trois interprètes prouve que le public ne s'y est pas trompé. Hier soir, un immense serviteur du Lied nous a désigné son héritier!


jeudi 4 juin 2015

Yutaka Sado fait danser la Philharmonie (concert du 3 juin 2015)

Programme résolument XXe siècle pour l'Orchestre de Paris, hier à la Philharmonie : Escales de Jacques Ibert, le Concerto en fa majeur de George Gershwin et Petrouchka d'Igor Stravinski, le tout sous la baguette du Maestro Yutaka Sado.

Grande découverte pour moi qu'Escales. Rythmé, imagé, enlevé : tout l'art de la miniature de Jacques Ibert, que je ne connaissais que via sa musique pour piano (si vous aimez, je vous recommande le superbe disque de mon ami Jean-Yves Sébillotte, piano solo de l'orchestre de l'Opéra de Paris). L'Orchestre de Paris et Sado sont dans leur élément: les bois sont merveilleux, ça danse, ça claque, on voit passer ruines romaines, chameaux et belles andalouses. Une réussite.

Je n'en dirais pas autant hélas du concerto en fa majeur de Gershwin. L'orchestre et le chef, élève de Bernstein, ne sont pas en cause : mes réserves viennent plutôt du pianiste cubain Jorge Luis Prats. Il a certes un jeu puissant, très rythmé, mais ça manque totalement de swing et de douceur. C'est très brut, là ou Gershwin sait être planant. Cela n'empêche pas le pianiste d'être très applaudi, ce qui le conduit à nous gratifier de deux bis pleins d'humour et de fantaisie, beaucoup plus réussis.

Pour le final, on a droit à une version remarquable de Petrouchka: quels pupitres de vents magnifiques! Et quels cuivres! Mention spéciale au trompettiste, superbe dans son solo. Yutaka Sado danse au pupitre, tient l'ensemble d'une main de velours, c'est précis, en place, brillant. Bravo et merci, Sado sensei!

En bonus, si vous aussi vous aimez Ibert, voici le lien pour écouter le disque "Miniatures" de Jean-Yves Sébillotte. http://www.qobuz.com/fr-fr/album/ibert-miniatures-jean-yves-sebillotte/3375250105704

samedi 23 mai 2015

Une soirée où l'on s'approche du Graal: le Roi Arthus à l'ONP

Il faut oser aller découvrir des oeuvres que l'on ne connaît pas, sortir de la routine du Répertoire. Encore plus quand une oeuvre y fait son entrée après des années d'oubli, comme c'est le cas de ce Roi Arthus d'Ernest Chausson, en cette 3e représentation à l'Opéra de Paris. Certes, je ne crois pas au chef d'oeuvre inconnu, mais hier j'ai passé une superbe soirée, satisfaisante comme rarement du point de vue musical.

Découverte donc que ce Roi Arthus dont je ne connaissais pas une note. Et bien l'oeuvre me parle, comme peut me parler Pelléas et Mélisande. Bien plus que l'influence de Tristan qu'y ont reconnue les wagnériens, moi j'y entends une vraie couleur de musique française décadente. J'y entends le contemporain de Debussy et de Dukas, voire même de Massenet pour la prosodie. On dira que ceux-là aussi ont été influencés par Wagner, mais franchement à cette époque, quel compositeur ne l'était pas? Tout cela donne un opéra à l'ambiance étrange, dont le côté un peu chargé me fait penser à Huysmans... Il s'y distille, comme dans "À rebours" des passages enthousiastes entrecoupés de moments de grande lassitude.
Cela se retrouve dans la structure de l'oeuvre, dont les 3 actes sont équilibrés entre eux mais dont le contenu est inégal en termes d'intensité. On alterne des moments sublimes (le Laboureur, le solo de Lyonnel, l'arrivée de Merlin, le final...) et des moments plus longuets, notamment les duos Lancelot/Genièvre, qui s'étirent sans forcément gagner en grandeur. Par contre, le prélude et les interludes entre les tableaux sont tous splendides, avec là encore quelques bizarreries (coquetteries?) d'orchestration : un solo de tuba et, si j'ai bien entendu, un saxophone contrebasse au 3e acte... Je rajouterai que j'ai trouvé le livret, de la main du compositeur lui-même, remarquable de poésie, pas mièvre pour deux sous et dessinant des personnages complexes et émouvants. Bref, ce n'est pas un chef d'oeuvre mais c'est un bel opéra et je suis heureuse qu'il ait enfin été monté à l'ONP.

J'ai lu beaucoup de choses négatives sur la mise en scène de Graham Vick. Personnellement, ce n'est ni la plus belle ni la plus vilaine mise en scène que j'ai vue à Bastille, la palme de la laideur restant détenue pour moi par l'Aida d'Olivier Py. Par ailleurs, je trouve que c'est intelligent et que ça se tient. Je ne pense pas qu'il faille reprocher aux décors et costumes un excès de prosaïsme, à mon sens c'est voulu et participe du parti pris de Vick. Il y a là pour moi un écho contemporain, en négatif, de la décadence de la fin du XIXe. Le cercle d'épées reliées par un corde, Table Ronde symbolique dont les idéaux enferment les protagonistes, est une belle image... Cette même Table Ronde rappelée, toujours en écho, par une table basse que tous renversent ou rétablissent selon qu'ils soutiennent ou se rebellent contre cet idéal. Au milieu de ce Camelot préfabriqué qui sera progressivement renversé et détruit, Arthus erre en rêvant parmi les livres de sa bibliothèque, Genièvre et Lancelot consomment leur péché sur un canapé rouge, le château rêvé et la verte prairie ne sont que des toiles peintes bientôt flétries... L'idéal littéraire du Graal se brise sur le prosaïsme de la réalité. Alors oui, cette vision se fait un peu au dépens d'un travail plus fouillé sur les personnages, réduits à servir le propos, mais cela reste un travail de mise en scène intéressant qui ne mérite pas les huées entendues paraît-il à la première (il n'y en eut d'ailleurs pas en cette 3e représentation).

Passons aux interprètes. Côté direction, on saluera le superbe travail de Philippe Jordan à la tête d'un orchestre de l'ONP particulièrement en verve. Ce chef est définitivement à l'aise dans la musique française. Il sait dessiner des atmosphères pour chaque tableau tout en ne couvrant pas les chanteurs. Mention spéciale au violoncelle solo, dont les interventions étaient toutes remarquables. Le choeur de l'ONP a peu à faire mais le fait avec autorité et talent, avec notamment un quatuor de soldats très bien chantant (où se détache la voix sonore de Florent Mbia) et une lumineuse intervention des soprani solistes dans le final.

Mais ce qui faisait tout le prix de cette soirée, c'est avant tout que pour cette entrée au Répertoire l'ONP avait réuni un cast de référence: j'ai eu hier le sentiment d'assister à l'apothéose de deux monuments du chants, Alagna et Hampson, et à la confirmation de deux grands de demain: Stanislas de Barbeyrac et Cyrille Dubois.

De Roberto Alagna on ne redira jamais assez la lumineuse diction, l'éclat inchangé du timbre, l'allure juvénile, la générosité dans l'interprétation. Après 30 ans de carrière, c'est tout simplement prodigieux. Son Lancelot n'est que lumière et on ne peut qu'aimer ce traître par amour. Que ce merveilleux artiste mette sa notoriété et son talent au service d'oeuvres peu jouées est tout à son honneur.

De même, quel Arthus plus digne et plus noble aurait-on pu trouver que Thomas Hampson? Le moelleux du timbre, la classe de la diction, la sensibilité de l'interprète emportent toujours l'enthousiasme. La voix a conservé tout son brillant et toute sa puissance dans le haut de la tessiture, même si aujourd'hui le grave est un peu sourd. Mais le registre grave ne fut jamais ce qui fait tout le prix de cette voix lumineuse, alors qu'importe quand on a la joie de le revoir enfin à Paris!

Du côté de la relève, deux coups de coeur: le Lyonnel de Stanislas de Barbeyrac et le Laboureur de Cyril Dubois. Quel dommage que Chausson n'ait pas accordé plus de place au personnage de Lyonnel! De cet adjuvant à contrecoeur de l'amour de Lancelot et Genièvre, par fidélité et par amour, lui, de son maître, Stanislas de Barbeyrac fait un ange de lumière. Que de promesses de grandes choses à venir dans cette voix remarquablement ancrée dans un médium riche, ce qui lui permet à la fois des aigus sûrs et brillants et un grave sonore. Homogénéité sur toute la tessiture, couleurs, phrasés toujours châtiés et diction impeccable: il a tout. Je me prends à rêver de Pelléas, de Pylade, mais de tellement d'autres choses aussi, tant les possibilités sont grandes: Cassio, à terme Werther... Qu'il prenne bien son temps et la "relève" de Roberto Alagna, ce sera lui!

De même, ce que parvient à tirer Cyrille Dubois de la courte intervention du Laboureur n'appelle que des louanges. En dehors du fait que cette voix de ténor léger est très belle et bien conduite, cette interprétation immatérielle, où l'on retrouve tout le mystère et toute les brumes de la Bretagne Arthurienne, crée un moment de grâce suspendu qui mérite l'ovation reçue aux saluts.

Belle prestation également de la seule protagoniste féminine de la soirée, Sophie Koch. Genièvre n'est pas un personnage facile, ni vocalement ni scéniquement. Je trouve la reine manipulatrice et dure, n'emportant pas spontanément la sympathie. Sophie Koch s'en sort bien, en faisant d'elle une grande amoureuse au tempérament volcanique. Dommage que Vick l'ait peu aidée par une scène de suicide bien peu crédible. Vocalement la prestation est solide, ormis quelques aigus marqués et cette diction toujours floue qui quand elle est seule peut s'oublier, mais qui devient plus embarrassante dans ses duos avec Alagna, où elle souffre fortement de la comparaison. Cela nous vaut un couple d'amoureux pas toujours très équilibré, c'est un rien dommage.

Côté rôles secondaires, le Merlin de Peter Sidhom fait forte impression, la présence est immense, son apparition, quand tapi dans l'ombre de la bibliothèque, il se lève aux appels d'Arthus, est saisissante. Le Mordred d'Alexandre Duhamel est bien chanté, mais le personnage est très peu développé ; l'Allan de François Lis est de beau style à defaut d'avoir beaucoup à faire.

Ce fut donc une grande et belle soirée d'opéra et de chant français, qui sera pour moi la conclusion de cette saison 2014-2015 atypique à l'ONP, en attendant la prochaine où mes choix seront beaucoup plus "Grand Répertoire".

Je recommande à tous ceux qui le peuvent de regarder le 2 juin la captation live sur Mezzo et Culturebox, vraiment cela en vaut la peine.

Photos: copyright Opéra de Paris et Fomalhaut.

lundi 11 mai 2015

L'amour est enfant de La Havane - Carmen, Teatro Carlo Felice, Gênes, 8 mai 2015

Vendredi soir j'ai pu, grâce au streaming live gratuit organisé par le Teatro Carlo Felice de Gênes, regarder une Carmen que je ne suis pas prête d'oublier.

Une fois n'est pas coutume : je ne vous parlerai pas des voix. Meli, Ganassi et Gamberoni étaient tous les trois très bons vocalement et ont les voix de leurs rôles (avec quelques réserves concernant Ganassi) mais pour les oreilles d'une française la diction et l'articulation du texte font que ça ne pouvait pour moi être inoubliable, même si bien chanté. Heureusement que presque tous les dialogues parlés avaient été coupés!

Non, ce soir je veux vous parler mise en scène. La Carmen du Carlo Felice ne se passe en effet pas à Séville, mais à La Havane avant l'avènement de Castro. Carmen est une révolutionnaire, ses compagnons des guerrilleros, son Escamillo un Che Guevara. Don José est un soldat affublé d'une chemise couleur corail et d'un pantalon canari et Micaëla une jeune fille de bonne famille en satin mauve très Grace Kelly (quelle belle allure a Serena Gamberoni!).

L'ambiance est colorée et sent le cigare et le rhum. Sur fond de front de mer (le plateau tournant et sur 2 niveaux du Carlo Felice permet de beaux effets de profondeur) tout est couleur, danse, chromes années 50 et coiffures Rita Hayworth. Le décor ainsi posé, on entre dans un univers aussi moite que violent, où les claques pleuvent (Morales et ses soldats sont des brutes à qui Micaëla finit par coller une gifle), où l'atmosphère pré-révolutionnaire est électrique. C'est très réussi et sans une once de kitsch espagnol. À l'entrée de Carmen, José est au balcon du corps de garde et ne l'ignore pas du tout! Pas de jet de fleur, l'attraction est immédiate et assumée : pendant le duo avec Micaëla, Carmen est à l'arrière plan et il n'a d'yeux que pour elle. Pas besoin de corde quand elle est arrêtée, leurs sorts sont déjà liés.

Le 2e acte débute au "Lillas Pastia Social Club", où Carmen au micro chante "les tringles et les cistres" accompagnée de danseuses "Chiquita Banana". Entre Escamillo: il porte treillis noir et brassard rouge, il est le Commandante charismatique vers qui toutes se tournent. Le parti pris fonctionne. À l'arrivée de José, Carmen chante en s'accompagnant aux bongos. Meli réussit un superbe air de la Fleur (hélas sans le pianissimo sur "toi" que je l'ai pourtant entendu faire ailleurs) puis arrive Zuniga. On se bat, il pleut des coups et Zuniga est abattu d'une balle dans la tête par le Dancaïre. Les révolutionnaires ne font pas de cadeaux. José est forcé de rejoindre les guerrilleros dans la montagne cubaine.

Au 3e acte, photos du Che pendant l'intermezzo, puis un mur où est écrit en rouge "Revolución". Les guerrilleros arrivent. Ils ont capturé les douaniers. Carmen, Frasquita et Mercedes jouent avec eux un jeu lascif avant de les égorger lors d'une exécution sommaire. Micaëla arrive et trouve, épouvantée, leurs corps (Serena Gamberoni réussit magistralement son air). Pour une fois, Micaëla n'est pas une jeune fille pleureuse mais une femme combative, s'interposant face à la violence de José, se dressant tel un chat, toutes griffes dehors, face à Carmen pour reprendre son homme, de gré ou de force. Ça change, et vraiment en bien! Pour un peu j'en aimerais presque le personnage.

Le dernier acte nous épargne toutes les espagnolades: pas de matador, de picadors ou de chevaux, mais la grande corrida révolutionnaire, où sur une estrade tournante au 2e plan de la scène, les chefs des guerrilleros haranguent une foule au poing levé pendant un interminable discours, comme Castro savait les faire.
Au 1er plan, José, qui a troqué son treillis de guerrillero pour son uniforme de soldat du début, laisse éclater toute sa rage et poignarde Carmen. Le havane est consumé.

samedi 2 mai 2015

Turandot explosive à la Scala (radiodiffusion du 1er mai)

Et non, je n'étais pas à Milan hier pour l'ouverture de l'Expo 2015, ni pour la Prima de cette Turandot scaligère qui promettait beaucoup et qui, droits non cédés obligent, n'était même pas visible en image en streaming sur RAI5! Heureusement, la soirée était radiodiffusée par Rai radio 3 et ce qu'il y a de bien quand on n'a que le son, c'est qu'on peut se concenter sur la musique et sur les voix.

Tout d'abord, cette première apparition de Riccardo Chailly (sauf erreur de ma part) en Maestro Scaligero est une révélation. Quelle direction! Couleurs fantastiques (les cordes!), plans sonores hyper équilibrés qui m'ont permis d'entendre au 2e acte des choses que je n'avais jamais entendues, rythme, engagement, intensité... Chailly nous offre une Turandot aussi paroxystique que brillante, survoltée et cohérente. Un triomphe. Les choeurs de la Scala sont eux supérieurs à n'importe qui d'autre dans ce répertoire. Il faut entendre les aigus des soprani au finale du 2e acte: époustouflants! Bref, je me suis éclatée, c'était fantastique.

Côté voix, beau trio de masques avec des voix de taille, sauf peut-être le plus léger des deux ténors, mais ce trio n'est pas assez "buffo" à mon goût, cela dit c'est peut être voulu (ministres sinistres et pontifiants...). Altoum de grande classe, sonore, pas chétif pour deux sous. Beau Timur, puissant et digne. Servantes au joli timbre et réussissant de belles couleurs lunaires. Passons aux rôles principaux.

Dans les échecs de la soirée, le Calaf d'Anleksandr Antonenko, mais y a-t-il aujourd'hui quelqu'un qui puisse rendre justice à ce rôle, tout de puissance et de soleil? À mon avis non. Donc, Antonenko est aride de timbre, court d'aigu, survibré, avare en couleurs et étranger au style et à la ligne pucciniens. Son seul programme: le décibel. Aucune nuance, pas la plus petite ombre de diminuendo ou d'intention d'interprétation. On ajoute un beau canardage au moment de la mort du Prince de Perse, dont l'aigu sur "Turandot" est plus réussi que le sien! Bon, il ne rate pas trop son "Nessun dorma", mais c'est sans émotion et dans l'ensemble la performance est ennuyeuse et donc de peu d'intérêt.

C'est dommage car ses deux partenaires féminines sont ce que l'on peut trouver de mieux actuellement! Très en forme, malgré un petit accident dans "In questa regia" (qui cueille toutes les chanteuses à froid), Nina Stemme est une Turandot de glace et de lave à la fois, aux aigus dardés, aux graves immenses, à la sensibilité à fleur de peau. Ne lui manque à mon avis qu'un cantabile un peu plus délié, mais sans doute cela va se roder dès la seconde représentation, une fois évacué le stess de la prima. Néanmoins, une performance vraiment convaincante qui impose d'emblée Stemme comme une référence dans ce rôle. La plus belle Turandot depuis Nilsson pour moi.

Et enfin, la Liù de Maria Agresta. Il n'est pas nouveau que j'adore cette chanteuse, dont la voix corsée, très italienne, nous change des voix stéréotypées des russes ou des américaines. Et encore une fois, elle est merveilleuse. On confie rarement Liù à des sopranos ayant son ampleur vocale -- les Norma sont souvent plutôt des Turandot (Callas, Caballé) -- et on a tort! Pour avoir longuement peiné sur ces airs qui sollicitent fortement le registre grave, je ne suis pas du tout pour confier ce personnage à des petites voix. Beaucoup s'y sont d'ailleurs cassé les dents (Bayó, Hendricks...), alors que c'est si génial quand c'est chanté par une grande voix, comme Tebaldi, Freni ou Scotto! Agresta se situe dans la lignée de ces trois là. À l'aise dans la tessiture, elle peut par conséquent y distiller une émotion rare; elle est la petite femme puccinienne dans tous ses aspects, son "Tu che di gel sei cinta" est à fendre les pierres! Une grande incarnation et un triomphe mérité à l'applaudimètre.

Une très belle et très grande soirée, dont il ne me reste plus que de trouver le moyen de voir les images!

vendredi 10 avril 2015

La séduction d'Orfeo

Mercredi soir à la Philharmonie 2, c'était le retour d'un spectacle donné plusieurs fois déjà dans d'autres salles: Orfeo ed Euridice de Glück par l'Insula Orchestra et Accentus dirigés par Laurence Equilbey, avec Franco Fagioli dans le rôle du poète mythique, Malin Hartelius en Euridice et Emmanuelle de Negri en Amore.

Concert donc déjà donné les années précédentes, muri par tous les interprètes et parti pour une tournée qui sera suivie d'un enregistrement CD. Et il va sans dire que cela vaut vraiment une gravure!

L'Insula Orchestra, formation qui joue sur instruments anciens, a une belle sonorité, même si les bois manquent de projection. Sous la direction décoiffante (au sens propre comme au figuré) d'Equilbey, cela danse, se colore, vibre à l'unisson des chanteurs. Dans une petite salle intime comme la Philharmonie 2, c'est très réussi. Et c'est pourtant le moindre des succès de cette soirée.

C'est qu'il y a le choeur Accentus! On peut le dire sans aucune exagération : il n'y a pas aujourd'hui au monde de choeur d'oratorio qui lui arrive à la cheville. Quelle présence, quels couleurs, diction, timbres! Une merveille. Tour à tour bergers en deuil, âmes perdues des Enfers, Bienheureux élyséens, ils sont le Choeur antique, personnage à part entière de la pièce. Bravo à eux!

Côté solistes, les trois personnages du drame ont trouvé des interprètes de référence pour cette version de Vienne (en italien et rôle titre pour alto). Emmanuelle de Negri est un Amore au timbre exquis, perlé, sensuel et espiègle à la fois. Malin Hartelius apporte sa noblesse de ton et son art de la déploration à une Euridice très femme et très séduisante.
Et comme on s'y attendait, le contre-ténor assoluto Franco Fagioli est un exceptionnel Orfeo. Sa plainte fendrait des rochers, sa séduction des Enfers ferait fondre les coeurs les plus secs, ses vocalises sont ébouriffantes et son "Che faró senza Euridice" absolument déchirant. Fantastique. Cette capacité unique qu'a ce chanteur de solliciter quasi sans passage un registre grave di petto et une voix de tête sonore est simplement stupéfiante. Et dans ce rôle écrit pour la voix grave du castrat alto Guadagni, il est le seul des contre-ténors actuels à rendre justice à la musique de Glück. Bravo, Franco, incomparabile!

Pour ceux qui ont raté cette grande soirée, le même concert donné la veille à Poissy est disponible en replay pendant quelques jours sur Culturebox!

dimanche 29 mars 2015

Orchestre en Fête avec Carmina Burana

Lors de ce week-end "Orchestres en Fête", on donnait à la Philharmonie de Paris les Carmina Burana de Carl Orff, avec l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg.

J'ai beaucoup chanté cette oeuvre, que je connais pas coeur, mais c'est la première fois que je l'entends en tant que spectatrice en version avec grand orchestre et non en version pour 2 pianos.
Sous la direction claire et précise de Pierre Cao, le Philharmonique du Luxembourg fait de très belles choses, d'autant plus que pour ce concert, il accueille grâce à l'opération "side by side" des étudiants des Conservatoires du Luxembourg, à qui cela donne l'occasion de se produire en formation dans un vrai concert symphonique. Il y a notamment des jeunes talents très prometteurs chez les percussionnistes et les vents: le son est beau et c'est très en place. Encore une fois on a la preuve qu'en tirant les jeunes vers l'excellence, comme c'est la mission des conservatoires, on obtient de très beaux résultats. Les tenants de ce dogme imbécile de l'égalitarisme à tout crin qui actuellement, à la Mairie de Paris, en ont après les conservatoires, auraient dû venir y jeter une oreille!

Je tiens particulièrement à souligner la très bonne prestation du Choeur Symphonique de Grande Région, remarquable de rythme, de clarté, d'engagement et de justesse. De même, les interventions des Puerin Cantores du Conservatoire de la Ville de Luxembourg n'appellent que des éloges : c'est juste, en place et d'une jolie couleur.

Côté solistes, on retiendra le beau soprano de Rosa Feola, prix du public du concours Domingo 2010, qui a toute l'assise dans le médium nécessaire pour bien chanter cette partie que l'on réduit trop souvent aux suraigus du Dulcissime. Baryton passable en la personne de Rodion Pogossov, qui commence bien mais s'essoufle dans la 2e partie, avec notamment un falsetto très perfectible dans le Dies, Nox et omnia. Déception en revanche avec le ténor étranglé d'Alexander Kaimbacher, de surcroît pas très drôle en cygne roti.

Le public, nombreux pour ce concert très accessible en termes de prix des places (12 € pour un adulte, 8 € pour les moins de 15 ans) passe en tous cas une très bonne fin d'après midi et fait un triomphe aux musiciens, qui bissent le O Fortuna final. Et mes 2 enfants, emmenés pour l'occasion, étaient ravis!

lundi 16 mars 2015

Bon, puisqu'on me le demande...

Vous êtes un certain nombre à avoir demandé à m'entendre chanter.

Vu que je ne suis pas timide, sinon je ne serais pas soprano, j'accepte. Sachant que j'ai enregistré ça ce soir avec mon Smartphone, en rentrant d'une journée de boulot, a capella, et que je ne travaille plus ma voix que sous la douche.

L'air est archi rabâché mais on chante le Puccini qu'on peut!

Lien ci-dessous: O mio babbino caro.
https://www.dropbox.com/s/l1y1nmilu5815vz/Vocal%20004.m4a?dl=0

Biz et rangez les verres en cristal de grand-maman!

dimanche 15 mars 2015

Les voix du cinéma

Petit billet faisant suite à une réflexion personnelle sur les timbres de voix des acteurs de cinéma. Plus encore que leur talent ou leur physique, c'est toujours ça que je retiens chez un acteur. Ci-dessous ma petite shortlist des "voix" du cinéma d'hier et d'aujourd'hui, version Top 5 avec indication de tessiture.

Acteurs d'hier:
- Laurence Olivier (baryton ou ténor, selon l'âge du rôle...)
- Gérard Philipe (ténor)
- Katherine Hepburn (mezzo-soprano)
- Vivienne Leigh (soprano)
- Jeanne Moreau (alto?)

Acteurs d'aujourd'hui:
- Cate Blanchett (mezzo)
- Richard Armitage (basse)
- Benedict Cumberbatch (basse)
- Kenneth Branagh (ténor)
- Helena Bonham-Carter (mezzo-soprano)

Et depuis hier soir, je rajouterai Aidan Turner, un bien beau timbre de basse.

Conclusion : toutes ces "voix" notables du cinéma sont avant tout des voix de théâtre, notamment shakespearien. CQFD: la technique vocale ne s'apprend qu'à la scène.

mercredi 11 mars 2015

Chostakovitch et falbalas!

Soirée de gala hier à la Philharmonie de Paris, pour la venue d’Anne-Sophie Mutter et de l’orchestre du Concertgebouw, sous la direction d’Andris Nelsons : le directeur de la Philhar’ était au 1er rang du balcon, aux côtés de Gautier Capuçon et tout le monde s’était mis sur son 31. Il faut dire qu’il y avait de quoi, vu les interprètes et le programme (concerto pour violon de Sibelius et 10e symphonie de Chostakovitch) et le résultat fut largement à la hauteur des attentes !

Sculpturale dans un fourreau de satin noir à bustier libérant ses magnifiques épaules, brushing blond au vent, la grande Anne-Sophie déployait toute la passion de son jeu hyper romantique, dans un concerto-duel avec l’orchestre, survolté par la direction très dynamique de Nelsons. Habituée à la sobriété de Salonen dans ce répertoire, j’eus un peu de mal à adhérer au début à cette vision très contrastée de l’œuvre, mais au final, après la surprise initiale, je dois dire que ce fut une bien belle exécution. Bon, j’avoue, c’était la première fois que je voyais ce chef live et j’ai été un peu déconcertée par sa direction très physique : il m’est arrivé plus d’une fois pendant le concerto de me demander s’il n’allait pas, au détour d’un des amples mouvements de ses longs bras, éborgner sa soliste ! Heureusement pour le beau visage de Mutter, il est droitier et elle était à sa gauche ! Justement ovationnée à la fin de sa performance, elle revint et nous gratifia, en bis, d’une partita de Bach de toute beauté.

Après la pause, la phalange batave, renforcée d’instrumentistes supplémentaires, enchaînait sur la 10e de Chostakovitch. Je ne suis pas une grande connaisseuse de ce compositeur (hormis le concerto avec piano et trompette, quelques préludes et la Valse), mais live et avec un tel orchestre ça décoiffe ! Mon Chosta-maniaque de mari m'ayant coachée sur l’œuvre depuis plusieurs jours, je repérai sans problèmes dans les mouvements la « signature » du compositeur : D-(e)S-C-H (ré, mi bémol, do, si), déclinée sous toutes les formes, notamment aux timbales dans le grand final. La précision et le sens des contrastes d’Andris Nelsons, magnifiés par ce formidable écrin qu’est la Philharmonie et qui permet de tout entendre, jusqu’à la plus infime intention, firent merveille. Les pupitres de vents et de cuivre du Concertgebouw étaient tout simplement fantastiques ; la précision des cordes (l’unisson sur les pizzicati) impressionnante. Quel orchestre ! Sans surprise, après l’apothéose finale, la salle leur fit un triomphe mérité. Vivement qu’ils reviennent !

PS : j’ai appris le même jour que M. Jean Nouvel intente un procès à la Philharmonie pour que son nom ne soit pas associé à la salle, au prétexte qu’elle n’est pas achevée. Qu’il vienne donc entendre comme elle sonne et quel succès elle remporte auprès de celui pour qui elle a été voulue et qui l’a payée : le public, et il comprendra à quel point les excès auxquels le porte son égo sont ridicules et puérils. La Philharmonie est sans doute sa plus belle réussite, en dissocier son nom pourrait devenir sa plus grande erreur.

mercredi 18 février 2015

Mythique Naxos!

Il m'est rarement arrivé de vivre une soirée d'opéra dont je sorte sans avoir aucune réserve à émettre. La dernière fois, c'était le Werther de Kaufmann/Koch/Tézier/Plasson/Jacquot. Je vais donc rajouter l'Ariadne auf Naxos du 17 février 2015 à ma courte liste de représentations d'anthologie et Karita / Klaus Florian à mes couples mythiques d'opéra.

Inoubliable soirée. Une de celle où le grand vaisseau un peu fantôme de Bastille semble enfin vibrer. Où tout est idéal. Où l'émotion, la vraie, celle que je ne ressens qu'à l'opéra, est palpable, prend aux tripes et ne lâche qu'à la dernière note. Des exceptionnels artistes, qui donnent tout en ce soir de dernière, qu'on applaudit à s'en faire mal aux mains tant on a le désir de les en remercier.

Il faut dire que, pour sans doute la seule fois de cette morose saison 2014-2015, l'Opéra de Paris a réuni un cast de référence.

Du Komponist de Sophie Koch, tout a été dit. La mezzo française confirme encore une fois que dans ce rôle elle est idéale. L'allure, la voix, le style... Tout est parfait. S'y ajoute un engagement sans faille qui fait d'elle l'héroïne sans partage de ce Prologue... douze ans après la création de la mise en scène de Pelly cela relève presque du miracle. Bien sûr, les autres sont aussi excellents (voir ci-dessous), mais honnêtement, pendant quarante-cinq minutes on ne voit qu'elle. Merci Mme Koch, j'ai hâte de vous retrouver dans Artus.

Côté ensembles, le quatuor des masques est remarquable d'homogénéité et de qualité. Quatre très beaux chanteurs, mention spéciale pour le ténor argenté de Cyrille Dubois, récente révélation lyrique de l'année aux Victoires de la Musique. Idem pour le trio féminin Najade/Dryade/Echo : voix magnifiques, équilibre et engagement, une grande réussite. Tous les comprimari sont également excellents (notamment Martin Gantner en Musiklehrer) et l'ensemble est dirigé avec beaucoup de métier par Michael Schønwandt, tour à tour léger et lyrique, faisant ressortir les couleurs des vents et scintiller les cordes.

Passons à l'acte principal et à une autre triomphatrice de la soirée: Elena Mosuc, remplaçant Daniela Fally initialement prévue. Sans avoir besoin d'un bikini, elle impose une Zerbinetta pleine de sensualité, parvenant à allier, comme le rôle à mon sens l'exige, rondeur et légèreté. Les contre notes sont toutes présentes mais ce qui frappe c'est la richesse du médium, quasi pulpeux. On a une femme, non un oiseau des îles et le personnage prend alors tout son sens. Elle est justement ovationnée à la fin de son grand air.

Je finirai par mon nouveau couple mythique: Karita Mattila (Ariadne) et Klaus Florian Vogt (Bacchus). Mattila et Strauss, c'est pour moi une longue histoire d'amour. J'ai tous ses enregistrements dans ce répertoire, quand je pense Strauss, j'entends la voix de Mattila. Et quel bonheur de constater que des années après cette voix n'a pas perdu de sa splendeur! Elle a même gagné en intensité, notamment dans le grave. L'aigu, à la couleur si particulière, se déploie avec une ampleur intacte, emplit Bastille, donne le frisson, le médium est toujours capiteux, d'une infinie richesse de couleurs. Une voix homogène, une interprète habitée par son personnage, une affinité profonde avec cette musique. Un moment de bonheur musical rare et une référence immédiate pour Ariadne.

Et en plus, face à elle, et ce n'est pas fréquent, on a un Bacchus à la hauteur. Les lecteurs de ce blog savent que j'aime beaucoup Klaus Florian Vogt. Pas dans tout, bien sûr, mais dans ces rôles de héros venu d'ailleurs je le trouve unique. Depuis hier, son Bacchus est pour moi incontournable, comme peut l'être son Lohengrin. Outre son adéquation physique au rôle de jeune dieu - drapé dans sa toge on dirait une statue de Phydias - sa voix si étrange, à la fois immatérielle et puissante, fait merveille pour dessiner le "schöne, stille Gott". Il semble se jouer de la tessiture impossible du rôle, chantant ces phrases terribles avec une facilité quasi surhumaine. Le duo final est un immense crescendo d'intensité, soutenu par un formidable orchestre de l'Opéra de Paris, et on se laisse emporter comme Ariadne dans une extase qu'on voudrait infinie. Mythique, vous dis-je.

Un immense merci à tous ces merveilleux musiciens pour ce voyage à Naxos que je ne suis pas prête d'oublier!

Photo Bernard Coutant - Opéra de Paris