lundi 15 février 2016

Dies Magna! | Requiem de Verdi, Noseda, Philharmonie 14/02/2016

Vous me direz que j'ai de drôles de choix de sorties pour la St Valentin. Mais, s'agissant d'un des concerts de l'année, je me suis rendue avec joie hier après-midi à la Philharmonie, en famille, pour ce Requiem de Verdi, oeuvre que j'adore et voulais faire découvrir à mes enfants.

Et, bien que préparée aux déferlantes du Dies Irae, j'ai pris une "grosse claque". Concert fabuleux, intense de bout en bout, une heure trente de cataclysmes, de fureur, de lamentation... les larmes montaient au yeux tellement c'était grandiose.

Sous la direction hyper tendue de Noseda, à mains nues, le choeur et l'Orchestre de Paris ont donné tout ce qu'ils pouvaient donner. Je le redis, l'Orchestre de Paris est une de nos meilleures formations. Hier, il a été parfait. De son, de clarté, d'engagement (le basson soliste!)... Le choeur (amateur) n'était pas en reste: compensant une projection limitée par une précision sans failles, il a été tour à tour rugissant ou angélique, s'élèvant largement au niveau de certaines formations professionnelles, et en tout cas bien au-dessus d'autres choeurs amateurs dont on fait tout un plat (l'Orfeon Donostiarra par exemple).

Mais tout cela n'aurait pas fonctionné sans un quatuor de solistes exceptionnel. Dominé, comme il se doit dans cette oeuvre, par le mezzo miraculeux de Marie-Nicole Lemieux: elle a tout, les graves abyssaux et jamais poitrinés, les aigus lumineux, la théâtralité, l'âme... un miracle, vous dis-je. À ses côtés, une vraie révélation pour moi: le soprano éloquent d'Erika Grimaldi. Belle ligne, legato de grande école, justesse impeccable... et un Libera Me de flamme. Un duo de femmes équilibré comme rarement (là où on a trop souvent un mezzo qui "tube" et un soprano qui minaude ou détonne... cf la version de Maazel à San Marco). Les messieurs sont très bons aussi: Pertusi noble et sonore, phrasant avec émotion son Mors Stupebit, et Saimir Pirgu remarquable notamment de projection, même si un Hostias un rien maniéré (cette voix mixte...) et un Ingemisco manquant un peu de ferveur ont fait qu'il n'est pas totalement parvenu à me faire oublier ma déception de ne pas avoir eu droit à Francesco Meli, initialement prévu. Néanmoins, un très bel équilibre du quatuor de solistes, essentiel pour réussir cette oeuvre.

Ovation méritée pour une très grande interprétation. Ce Requiem par Noseda a fait une entrée météoritique dans mon panthéon!

Photos: Manuel Cohen, Aline Paley, Nacho Orejas

samedi 13 février 2016

Ça pétille à Séville! Il Barbiere di Siviglia | ONP 12/02/2016

Reprise heureuse que celle du spectacle imaginé par Damiano Michieletto, surtout en ces pluvieuses journées de février! Voilà une soirée qui devrait être remboursée par la Sécu tant on en sort heureux et plein d'entrain! Dans une grande maison qui tourne sur elle-même, tout un petit monde s'agite, vit, chante et danse avec un allant qui fait plaisir à voir et qui nous change vraiment du statisme d'autres mises en scène vues récemment à l'ONP. C'est un petit morceau d'Almodovar, un soleil d'Espagne, avec ses couleurs, ses bruits, des détails, de la vie... viva la Movida!

Dès l'ouverture d'ailleurs le ton est donné : dirigeant depuis son pianoforte, Giacomo Sagripanti nous ciselle une texture orchestrale pétillante, précise et légère, un vrai plaisir. Du Rossini champagne! La suite est du même tonneau: toujours attentif au plateau, Sagripanti ne couvre jamais les chanteurs, maintient l'équilibre entre ceux, comme Alaimo, capables de toutes les virtuosités et ceux, comme le jeune Figaro du jour (Alessandro Arduini), qu'il faut parfois attendre un peu pour éviter les décalages. De la bien belle ouvrage, quand on sait combien Bastille est inadapté à Rossini (Cenerentola la saison prochaine sera d'ailleurs donné à Garnier et c'est une très bonne chose).

Passons au cast: il est dominé par un couple d'amoureux splendides de jeunesse et de peps. Lui, Lawrence Brownlee, cascadeur autant par la voix (quel superbe "Cessa di piu resistere"!) que dans le jeu, dont on admire la classe, la manière dont il affronte crânement toutes les difficultés du rôle tout en grimpant, sautant, courant sans jamais montrer le moindre signe de fatigue. Chapeau bas. Elle, Pretty Yende, dont c'étaient les grands débuts à l'ONP, est une adolescente rebelle à peu près idéale, et une fantastique Rosina version soprano. Le choix est assumé: tout est broderies, variations,  coloratures et contre-notes. C'est beau, rond, délicat... et la chanteuse a un tel charme, qu'elle conquiert instantanément le public de Bastille, qui l'ovationne même en plein milieu d'"Una voce poco fa". Un conseil: allez l'entendre l'an prochain dans Lucia!
Grandioses aussi, le couple de compères Bartolo/Basilio. En docteur grincheux et abusif, le colossal Nicola Alaimo rappelle s'il était besoin qu'il est inégalable actuellement dans les rôles de basse-bouffe, avec notamment une virtuosité incroyable dans le duo avec Rosina, de la haute voltige! Ildar Abdrazakov, dont on connaissait déjà la voix de stentor, révèle ici une verve comique que personnellement je ne lui soupçonnais pas et qui explose dans cette mise en scène. Ces deux-là volent la vedette au rôle titre, le Figaro un rien timide d'Alessandro Arduini. La voix est jolie, bien conduite, mais elle n'est pas particulièrement remarquable et son Figaro dandy semble toujours en retrait: c'est Almaviva qui mène la danse, quand ce devrait être l'inverse... j'ai presque plus remarqué le beau Fiorello de Pietro di Bianco: joli timbre, puissance... j'espère le revoir bientôt dans un rôle plus important.

Je conclurai avec la (bonne) surprise de la soirée : la Berta géniale d'Anaïs Constans! En plus de très bien chanter son air, elle dessine tout au long de l'opéra un personnage de femme en mal d'amour désopilant, dont on applaudit le succès final quand elle parvient à attraper son homme. C'est une superbe performance d'actrice en plus de la performance de chanteuse.

Ovation méritée pour cette soirée anti-déprime où la musique de Rossini a été si bien servie!

PS: il est triste de voir encore une fois le chef, sur scène, saluer avant que les lumières se soient rallumées une fosse quasi vide. Messieurs-dames les musiciens de l'orchestre de l'ONP, par respect pour vos collègues artistes encore sur scène et pour le public qui vous applaudit, ne pourriez-vous attendre cinq minutes pour partir, que le rideau soit tombé? Franchement, on ne voit ça qu'à l'ONP, ça exaspère les habitués et surprend très défavorablement les néophytes. À bon entendeur?

Photos Opéra de Paris

jeudi 4 février 2016

Anna et Ludovic au firmament | Il Trovatore, Opéra de Paris 03/02/2016

Hier, c’était mon tour d’assister à ce Trovatore de Verdi qui s’annonçait comme la production de l’année à l’Opéra de Paris.

Je vous épargne une énième mention de la boutade de Toscanini, qu’en plus je trouve fausse : pour faire un bon Trovatore, à mon sens il faut avant tout de l’équilibre entre les quatres rôles principaux. Et hélas, c’est pour moi ce qui manquait à la soirée d’hier.

Je ne reviendrai pas sur la mise en scène d’Alex Ollé, que j’ai déjà vue à Amsterdam (http://dilettantecoloratura.blogspot.fr/2015/10/amour-et-vendetta-sur-fond-de-grande.html), bien qu’elle ait un peu évolué dans ses détails (Manrico entre sur un brancard au 2e acte ou n’est plus enchaîné au dernier acte; le costume de Leonora est beaucoup plus glamour au 1er...) et qu’il me semble que pour cette version parisienne un soin nettement moindre ait été donné au jeu d’acteurs (moins de répétitions ?).

Mais puisque j’ai deux versions de la même mise en scène en mémoire, je ne peux éviter la comparaison. Côté orchestre, Paris l’emporte nettement sur Amsterdam : le chef Daniele Callegari est beaucoup plus tonique que Maurizio Benini, les tempi sont vifs, l’ensemble est enlevé, même si j’ai parfois trouvé certains cuivres (notamment le cimbasso et les trompettes) trop en dehors. Côté chœurs par contre, match nul : je n’avais pas jugé les chœurs fabuleux à Amsterdam, mais force est d’avouer que Paris ne fait pas mieux : tout comme pour la Damnation de Faust, j’ai trouvé notamment le chœur d’hommes de l’ONP peu précis dans ses attaques, peu investi et somme toute un rien décevant, ce qui est dommage avec toutes les occasions de briller que leur fournit la partition. Côté "comprimari", rien à dire : ils sont très bien (Roberto Tagliavini était d’ailleurs déjà Ferrando à Amsterdam).

Venons-en donc au quatuor de solistes : et là, la production entendue à Amsterdam l’emporte largement, car beaucoup plus équilibrée. En effet, là où Giannattasio, Urmana, Meli et Piazzola formait un quatuor de voix d’un niveau égal, la production de l’ONP voit se détacher nettement deux protagonistes au détriment des deux autres. Cela n’étonnera personne : Anna Netrebko et Ludovic Tézier sont superlatifs. Elle, timbre de velours, alliant puissance, rondeur, art belcantiste, investissement , aigus diaphanes et graves sépulcraux : elle est incandescente. Ne lui manque qu’une diction un peu plus nette, mais je chipote. Lui, grand style, voix de stentor (qui a dit que Bastille est ingrat pour les voix graves ???), ligne impeccable, aigu d’une sureté absolue : il vole totalement la vedette au ténor au point qu’on ne comprend pas comment Leonora peut préférer Manrico à un tel Comte de Luna !

Et oui, car Manrico, hier soir, était aux abonnés absents ! Dès son entrée, Marcelo Alvarez bâcle, presse et phrase comme une mitrailleuse son "Deserto sulla terra". La suite du rôle le voit aride de timbre, dénué de ligne, le souffle court, marquant chaque aigu d’un coup de glotte, quand il n’est pas tout simplement décalé de plusieurs temps. Il se rattrape certes un peu en phrasant honorablement son "Ah, si, ben mio", mais pour rater ensuite colossalement sa Pira (je ne lui en veux pas, je déteste ce morceau que je ne trouve absolument pas représentatif de la vocalité du rôle). Tous ces problèmes techniques font qu’il dessine un personnage de brute un peu stupide, pas attachant pour deux sous et sans aucune alchimie avec les deux rôles féminins. J’en viendrais presque à regretter de ne pas avoir entendu Yusif Eyvazof, que je ne connais pas mais qui au moins aurait eu du feeling avec son épouse !

Seconde déception du cast : l’Azucena d’Ekaterina Semenchuk. La voix n’est absolument pas en cause : elle est grande, belle, puissante sur toute la tessiture et bien conduite. C’est le personnage qui pêche. Or c’est un personnage central (Verdi avait un temps songé à appeler son opéra "La Bohémienne") et donc il manque clairement quelque chose à la dramaturgie. Là où Urmana campait une mère abusive, immense, dantesque, manipulant comme un enfant son Manrico, Semenchuk dessine une gitane en retrait, presque fragile. Enfermée dans sa folie, elle n’en impose pas... au point qu'il m'a fallu au moins trente secondes pour la repérer au début de "Stride la vampa"! Est-elle encore foncièrement trop jeune pour le rôle ? Cette superbe Eboli ou Amneris est peut-être encore trop "femme amoureuse" dans l’âme pour faire une mère crédible. Elle gagnera je pense à être entendue à nouveau dans le même rôle, mais dans 10 ans!

Pour vous faire votre avis, je vous recommande donc de ne pas rater la diffusion dans les cinéma UGC le jeudi 11 février ou sur Mezzo Live HD le 18 février. Et puis, la performance magnifique d’Anna Netrebko et Ludovic Tézier en vaut vraiment la peine!

Photos: Charles Duprat | Opéra National de Paris