samedi 17 octobre 2015

Sacré Gergiev!

Enfin de retour à la Philharmonie! Il m'avait manqué, ce grand oiseau de béton gris posé au pied du ciel. Bon, il n'est pas encore complètement terminé, mais la salle est toujours aussi belle et son acoustique toujours aussi géniale pour les grands concerts symphoniques. Et ça tombait bien: hier soir, c'était le London Symphony Orchestra et Valery Gergiev qui officiaient, pour un programme 100% Stravinsky.

Hélas, la Symphonie en Ut m'ennuie toujours autant. Le Stravinsky néo-classique laisse certes la part belle aux instrumentistes, ce qui permet d'apprécier la qualité phénoménale de ceux du LSO (ces vents, ces cuivres!), mais sinon j'ai surtout passé toute l'oeuvre à lutter contre une quinte de toux sournoise et à attendre que ça passe. Heureusement la suite symphonique Le Rossignol correspond déjà beaucoup plus à ce que j'aime chez Stravinsky et on se laisse prendre par ses harmonies chinoises et sa rythmique étrange. Mais bon, comme ma fille de 11 ans le disait à la pause: "Vivement le Sacre!".

Et ça valait bien l'attente. Un seul mot: WOW! Le LSO est vraiment un des meilleurs orchestres dans ce répertoire. La qualité des divers instrumentistes solistes est absolument extraordinaire (les vents sont vraiment monstrueux); l'engagement, l'énergie, enthousiasment l'auditoire, c'est proprement paroxystique! Et Gergiev a du génie. Il sait retenir ou laisser s'envoler ce pur-sang qu'est le LSO, jouer avec les échos, utiliser l'acoustique pour créer des effets... cela va du planant aux coups de fusil, que l'on ne peut obtenir que d'un orchestre aussi hallucinant pour la qualité des attaques. Bref, moi qui suis une inconditionnelle des lectures plus analytiques de Boulez ou Salonen, j'ai été convaincue par cette vision viscérale, plus contrastée... oserai-je dire, très russe? C'est grand, c'est beau, c'est fou, c'est Gergiev!

mardi 13 octobre 2015

Une Aida vraiment céleste

Il est arrivé dans ma boîte aux lettres, ce CD, annoncé à grands renforts de battage médiatique comme l'événement opératique de 2015 : une intégrale studio de Verdi, comme seul peut se le permettre Antonio Pappano dans le contexte morose de l'enregistrement classique... à condition qu'il puisse rassembler un cast qui fait vendre autour d'un opéra à "tubes"!

Voici donc Aida et ses trompettes, sonnant pour l'inestimable Anja Harteros et le désormais inévitable ténor, star de tout enregistrement dont on parle, Jonas Kaufmann.

J'aurais acheté ce CD juste pour Pappano et Harteros, dont je ne doutais pas qu'ils sauraient magnifier une oeuvre que j'ai toujours adorée, mais j'avais de grosses réserves sur Jonas Kaufmann. Ceux qui me lisent sur Twitter ces derniers temps savent qu'il m'agace de plus en plus, car là où il y 10 ans il n'y avait que splendeurs vocales et sex appeal ténoresque, il n'y a plus pour moi aujourd'hui que couleur barytonnale, tics et maniérismes. J'étais donc très circonspecte avant de commencer mon écoute. Et bien, je fus plutôt agréablement surprise, car si elle est loin d'être parfaite ou de référence, c'est une belle version, avec du charme et qui ne suscite jamais l'ennui.

Pappano y est pour beaucoup, qui sait varier les atmosphères, créer des images, être grandiose ou intime lorsqu'il le faut, et toujours vivant et dynamique. Bravo d'ailleurs au choeur et à l'orchestre de l'Accademia di Santa Cecilia, qui sont remarquables.

Côtés chanteurs, tous les second rôles ont été intelligemment distribués. Si Schrott est un peu falot en prêtre, sa voix n'en est pas moins superbe. J'ai aussi trouvé la Sacerdotessa d'Eleonora Buratto (Adina récemment à... Malpensa!) particulièrement bien chantée, avec une voix plus riche que ce qu'on a coutume d'entendre dans le rôle. Tézier a toujours une belle présence vocale, mais son Amonasro m'a laissée assez indifférente, au contraire de Semenchuk, que j'ai trouvée incandescente, avec des aigus absolument radieux. Quel dommage qu'elle ait tendance à poitriner son grave et que sa diction ne soit pas plus claire!

Et Jonas, me direz vous? S'il abuse toujours autant des effets (voix de tête, détimbrage, sombrage...) il dessine malgré tout un Radames touchant, pas tout à fait assez héroïque à mon goût mais qui ne m'a pas autant agacée que je le craignais. Il est bien mieux ici que dans son récent Puccini Album, que j'ai trouvé exaspérant... mais bon, ça manque quand même de soleil et ce n'est certes pas lui qui détrônera Franco Corelli de mon firmament des meilleurs Radames. Par contre, son Aida mérite d'y faire une entrée fracassante! Prodigieuse Anja Harteros! Couleurs, phrasés, diction, tempérament, elle a tout. La plus belle Aida pour moi depuis... depuis Price? Quel dommage qu'à l'issue d'un "O patria mia" d'anthologie elle rate son Ut du Nil, hélas trop bas... mais bon, elle se rattrape dans la scène finale, la plus belle que j'aie entendu depuis Alagna / Gheorghiu dans leur Verdi per Due avec Abbado.

Pour elle, l'Aida la plus céleste de ces 40 dernières années, et pour Pappano, ce CD est donc une acquisition qui vaut la peine!

lundi 12 octobre 2015

Amour et vendetta sur fond de Grande Guerre - Il Trovatore - Dutch National Opera 11/10/2015

Grâce à un ami, grand éplucheur de programmes, j'avais donc décidé d'aller voir ce Trovatore du Dutch National Opera. Il Trovatore, hein, pas le Trouvère, titre de la version française créée par Verdi lui-même, ai-je appris sur un blog bien connu dont l'auteur a bien plus d'érudition que moi.

Et puis, la fan absolue de Francesco Meli que je suis était bien obligée de se déplacer hors de Paris où il ne chante, hélas, pas cette saison... est-ce un effet Lissner? J'espère que non, car il me semble que sous ce dernier, Meli a bien peu chanté à la Scala. Bref, passons.

Donc, pour Meli mais également pour un cast qui dans son ensemble promettait beaucoup (je suis aussi très fan de Simone Piazzola) et une mise en scène d'Alex Ollé de La Fura dels Baus, cela valait bien un aller-retour en Thalys et la laryngite qui va avec (ah, la climatisation dans les trains...).

Commençons par la mise en scène : Ollé transpose l'action échevelée de Trovatore pendant la Grande Guerre. Pourquoi pas? Ça marche très bien. Rien de bien révolutionnaire mais de belles images, avec un dispositif scénique fait de grands monolithes qui tantôt montent, révélant des fosses qui sont soit des tombes soit des tranchées, tantôt descendent, pour créer des espaces plus intimes: château, prison, autel... hormis quand l'un de ces grands blocs tremble sur ses filins et manque d'écraser la Prima Donna, c'est plutôt réussi. Les costumes, De Luna et Cie en soldats allemands et Manrico et les siens en soldats anglais, sont sobres et de bon goût. Et l'attirail du soldat de la Grande Guerre fournit aussi matière à des images choc, comme ces spectres qui émergent des fosses, masques à gaz sur le visage, au moment du "Condotta ell'era in ceppi" d'Azucena : une vision qui fait frémir et donne envie, comme Manrico, de s'écrier "quale orror!". Une belle mise en scène, plus sage que ce à quoi je m'attendais de la part de la Fura dels Baus et que j'aurai plaisir à revoir dans le grand vaisseau de Bastille en janvier.

Mais bon, ce qui m'avait amenée à Amsterdam, c'était d'abord le cast. À tout seigneur tout honneur : commençons par le rôle titre et celui que je voulais à tous prix entendre : Francesco Meli. Il est pour moi aujourd'hui le meilleur Manrico qui soit. Certes, ce blog n'a aucune ambition d'objectivité, mais franchement, qui aujourd'hui est capable de rendre à Manrico toute sa palette de couleurs, de phrasés, de tradition belcantiste sans jamais tomber dans les minauderies? Meli, héritier d'une tradition qui le rattache à de grands noms comme Bergonzi, a apparemment compris que Manrico ne se résume pas à la vaillance de la Pira. D'un "Deserto sulla terra" onirique qui évoque immédiatement le poète qu'est le Trouvère à un "Ah si, ben mio" d'une émotion rare, d'une perfection de ligne que j'ai rarement entendue, avec une dynamique de nuances remarquable et un souffle apparemment inépuisable (j'aimerais un jour comprendre comment il fait car il semble respirer par le nez!)... il EST le personnage, et c'est merveilleux de bout en bout. Et puisqu'il faut bien en parler, sachez que l'aigu de la Pira était beaucoup plus réussi que pour la télédiffusion de Salzbourg l'an passé (et sans la reprise dans le grave sur la 2e note). Enfin, et c'est ce qui m'a suprise, moi qui l'entendais live pour la première fois, la voix est d'une puissance surprenante, dont on se rend mal compte à la télévision ou au disque. Et le timbre, solaire, radieux, si italien, me fait me demander comment j'ai pu un jour apprécier le Manrico de Jonas Kaufmann.

Le second pour lequel j'étais prête à endurer le temps d'un week-end la "gastronomie" batave, c'est le jeune baryton Simone Piazzola. Découvert dans le Boccanegra de la Fenice l'an passé, j'en attendais beaucoup. Et je confirme : c'est un futur très grand. La voix, puissante mais jamais lourde, est d'une longueur remarquable, belle sur toute l'étendue de la tessiture, avec un aigu radieux sans être ténorisant et une noblesse de ton qui séduit immédiatement et qui rend au Comte de Luna son statut de chevalier amoureux, là où il est trop souvent cantonné à un rôle de brute. Et quelle maturité d'interprétation pour un chanteur qui n'a que 29 ans! Son "il balen" est un petit bijou de justesse stylistique et interprétative, qui révèle toute l'humanité de cet amoureux éconduit et... il fait les trilles du premier trio, qu'on n'entend jamais d'habitude! Je le retrouverai avec joie en juin dans Traviata à Paris (un conseil: laissez tomber Placido, c'est Piazzola qu'il faut absolument voir!).

Côté dames, je n'ai rien perdu à la défection de Gubanova initialement prévue : cela m'a permis de réentendre, des années après une Forza parisienne, la grande Violeta Urmana dans un rôle verdien. La voix impressionne toujours et le personnage fascine: son Azucena hallucinée dans "Stride la vampa" fait dresser les cheveux sur la tête. Et quel volume... que pourtant elle sait brider dans ses deux duos avec Meli, pleins de tendresse et de douceur. Une bohémienne de grande classe. Face à elle, la Leonora de Carmen Giannattasio fait mieux que tenir son rang: la voix est puissante (cela me surprend toujours dans un tout petit bout de femme) et ronde sur toute la tessiture (ah, la morbidezza...), et l'aigu est très beau et sans une once d'acidité. S'ajoute à cela une très belle ligne de belcantiste. Le personnage, d'abord timide, s'affirme au fur et à mesure de l'opéra, devenant la femme prête à tout pour sauver son amour. Sa scène finale, extrêmement émouvante, aurait bien mérité une ovation aux saluts... que ce public batave coincé du dimanche après midi a omis de délivrer, provoquant chez la Diva un agacement visible et justifié. Alors tant pis si j'ai fait crisser quelques sonotones en criant "bravo"!

Pour le reste des protagonistes, je soulignerai de beaux seconds rôles (Roberto Tagliavini en Ferrando et Florieke Beelen en Ines), des choeurs somme toute passables (beaucoup de décalages...) et hélas un orchestre dirigé par un bien routinier Maurizio Benini, peinant à insuffler énergie et drame à l'ensemble. C'est le seul reproche que je ferai à cette belle représentation. Où est Daniele Gatti quand on voudrait l'avoir?

En conclusion, je suis ravie de mon week-end, ma saison d'opéra 2015-2016 est lancée en beauté et ma "Melistérie", comme dit mon ami éplucheur de programmes, est devenue définitivement incurable!

Photos by Lieneke Effen, De National Opera and me!