mercredi 18 février 2015

Mythique Naxos!

Il m'est rarement arrivé de vivre une soirée d'opéra dont je sorte sans avoir aucune réserve à émettre. La dernière fois, c'était le Werther de Kaufmann/Koch/Tézier/Plasson/Jacquot. Je vais donc rajouter l'Ariadne auf Naxos du 17 février 2015 à ma courte liste de représentations d'anthologie et Karita / Klaus Florian à mes couples mythiques d'opéra.

Inoubliable soirée. Une de celle où le grand vaisseau un peu fantôme de Bastille semble enfin vibrer. Où tout est idéal. Où l'émotion, la vraie, celle que je ne ressens qu'à l'opéra, est palpable, prend aux tripes et ne lâche qu'à la dernière note. Des exceptionnels artistes, qui donnent tout en ce soir de dernière, qu'on applaudit à s'en faire mal aux mains tant on a le désir de les en remercier.

Il faut dire que, pour sans doute la seule fois de cette morose saison 2014-2015, l'Opéra de Paris a réuni un cast de référence.

Du Komponist de Sophie Koch, tout a été dit. La mezzo française confirme encore une fois que dans ce rôle elle est idéale. L'allure, la voix, le style... Tout est parfait. S'y ajoute un engagement sans faille qui fait d'elle l'héroïne sans partage de ce Prologue... douze ans après la création de la mise en scène de Pelly cela relève presque du miracle. Bien sûr, les autres sont aussi excellents (voir ci-dessous), mais honnêtement, pendant quarante-cinq minutes on ne voit qu'elle. Merci Mme Koch, j'ai hâte de vous retrouver dans Artus.

Côté ensembles, le quatuor des masques est remarquable d'homogénéité et de qualité. Quatre très beaux chanteurs, mention spéciale pour le ténor argenté de Cyrille Dubois, récente révélation lyrique de l'année aux Victoires de la Musique. Idem pour le trio féminin Najade/Dryade/Echo : voix magnifiques, équilibre et engagement, une grande réussite. Tous les comprimari sont également excellents (notamment Martin Gantner en Musiklehrer) et l'ensemble est dirigé avec beaucoup de métier par Michael Schønwandt, tour à tour léger et lyrique, faisant ressortir les couleurs des vents et scintiller les cordes.

Passons à l'acte principal et à une autre triomphatrice de la soirée: Elena Mosuc, remplaçant Daniela Fally initialement prévue. Sans avoir besoin d'un bikini, elle impose une Zerbinetta pleine de sensualité, parvenant à allier, comme le rôle à mon sens l'exige, rondeur et légèreté. Les contre notes sont toutes présentes mais ce qui frappe c'est la richesse du médium, quasi pulpeux. On a une femme, non un oiseau des îles et le personnage prend alors tout son sens. Elle est justement ovationnée à la fin de son grand air.

Je finirai par mon nouveau couple mythique: Karita Mattila (Ariadne) et Klaus Florian Vogt (Bacchus). Mattila et Strauss, c'est pour moi une longue histoire d'amour. J'ai tous ses enregistrements dans ce répertoire, quand je pense Strauss, j'entends la voix de Mattila. Et quel bonheur de constater que des années après cette voix n'a pas perdu de sa splendeur! Elle a même gagné en intensité, notamment dans le grave. L'aigu, à la couleur si particulière, se déploie avec une ampleur intacte, emplit Bastille, donne le frisson, le médium est toujours capiteux, d'une infinie richesse de couleurs. Une voix homogène, une interprète habitée par son personnage, une affinité profonde avec cette musique. Un moment de bonheur musical rare et une référence immédiate pour Ariadne.

Et en plus, face à elle, et ce n'est pas fréquent, on a un Bacchus à la hauteur. Les lecteurs de ce blog savent que j'aime beaucoup Klaus Florian Vogt. Pas dans tout, bien sûr, mais dans ces rôles de héros venu d'ailleurs je le trouve unique. Depuis hier, son Bacchus est pour moi incontournable, comme peut l'être son Lohengrin. Outre son adéquation physique au rôle de jeune dieu - drapé dans sa toge on dirait une statue de Phydias - sa voix si étrange, à la fois immatérielle et puissante, fait merveille pour dessiner le "schöne, stille Gott". Il semble se jouer de la tessiture impossible du rôle, chantant ces phrases terribles avec une facilité quasi surhumaine. Le duo final est un immense crescendo d'intensité, soutenu par un formidable orchestre de l'Opéra de Paris, et on se laisse emporter comme Ariadne dans une extase qu'on voudrait infinie. Mythique, vous dis-je.

Un immense merci à tous ces merveilleux musiciens pour ce voyage à Naxos que je ne suis pas prête d'oublier!

Photo Bernard Coutant - Opéra de Paris

samedi 7 février 2015

Grande Messe à réveiller les morts!

Seconde soirée de la semaine à la Philharmonie de Paris, pour un Requiem de Berlioz prometteur, avec l'Orchestre National du Capitole de Toulouse, l'Orfeón Donostiarra, Bryan Hymel et Tugan Sokhiev à la baguette.

Il s'agit d'une oeuvre de jeunesse de Berlioz (numéro d'opus 5), elle n'est donc pas ce que je préfère chez lui, mais elle se prête magnifiquement à ce génial outil qu'est la Philharmonie. La phalange toulousaine renforcée d'une batterie de timbales supplémentaires (j'en compte 8) et aux pupitres tous au complet s'y épanouit sans saturation, le détail reste présent, les couleurs se discernent sans peine. Spatialisés au 4 coins de la salle, les cuivres supplémentaires (trompettes, trombones et tubas) font un effet fantastique (mon oreille droite - ils étaient à 4 rangs derrière moi - s'en rappellera!). Le choeur peut quant à lui oser toute une palette de nuances sans être perdu dans l'espace de la salle, ça "sonne" magnifiquement et avec une grande clarté... mais c'est aussi une clarté qui ne pardonne pas.

Il y a eu récemment, via un collectif lyrique, une polémique sur la trop grande présence de choeurs amateurs sur la scène de la Philharmonie. Précision : ayant été 10 ans choriste amateur dans le Choeur Régional Vittoria d'Ile de France, ayant collaboré avec de grands orchestres, enregistré avec eux et même gagné une Victoire de la Musique, je sais toute la qualité dont est capable un choeur amateur bien préparé. Mais je sais aussi ses limites: celles de la technique vocale, et notamment chez les ténors. Dans une musique aussi exigeante vocalement que Berlioz pour ce pupitre, des ténors sans technique vocale professionnelle comme ceux de l'Orfeón Donostiarra font un peu triste figure. Ce n'est pas la première fois que je le constate: j'avais assisté à Pleyel à une Damnation de Faust où j'avais eu le même sentiment. Pour Berlioz, il faut des pros. Certes, l'Orfeón ne démérite pas, c'est une musique difficile, mais j'ai été vraiment gênée par les attaques savonnées et le manque de lyrisme dû selon moi aux difficultés techniques qu'il éprouve et qui du coup l'empêchent d'émouvoir. C'est très dommage dans une oeuvre qui repose quasi entièrement sur les épaules du choeur.

Reste le moment de grâce de la soirée : le Sanctus de Bryan Hymel. On sait quel merveilleux interprète de l'opéra français il est, et notamment ses affinités avec Berlioz. Il fut hier soir absolument miraculeux. Le timbre, argenté, la ligne parfaitement maîtrisée malgré la tessiture impossible de ce solo, le volume de la voix qui remplit la salle... une émotion infinie et une ovation méritée. Quel grand chanteur! On ne peut que se réjouir de le voir à l'affiche de la Damnation de Faust en décembre prochain à l'Opéra de Paris.

Je continuerai quant à moi mon cycle "économie de moyens et intimisme" avec le Te Deum de ce même Berlioz en juin!

jeudi 5 février 2015

Les sortilèges de la Philharmonie de Paris

Ce fut donc hier pour mois la grande première à la Philharmonie de Paris, avec un concert qui s’annonçait exceptionnel sur le papier : Esa-Pekka Salonen, l’Orchestre de Paris et un très beau cast de chanteurs – dont Sabine Devieilhe – pour une soirée Ravel : ballet intégral de Ma mère l’Oye et l’Enfant et les sortilèges. Et bien ce fut exceptionnel.

En première partie, l’Orchestre de Paris, en formation resserrée, faisait entendre toute sa palette de couleurs, de dynamiques et tout le talent de ses solistes. Quelles qualités notamment chez les cors, les flûtes, les bassons ! Sans baguette, libérant son exceptionnelle gestuelle des mains, Esa-Pekka Salonen dirigeait au cordeau cette partition où le rythme est si prégnant, son corps suivant les pulsations et mouvements de la musique dans une sorte de danse que je ne me lasserai jamais d’admirer. Voir Salonen diriger, c’est pour moi aussi beau que de voir Nicolas Le Riche danser du Béjart. Un moment de grâce conclu par un crescendo hallucinant, qui me permit de constater l’exceptionnelle acoustique de cet auditorium que le monde va nous envier (cf tweet du même Salonen cette semaine disant, en résumé : « Londres, quand aurons-nous la même ? »).

Après la pause, la phalange parisienne revenait au complet, accompagnée d’une petite formation du Chœur de l’Orchestre de Paris, des enfants de la Maîtrise et d’un cast de chanteurs de premier plan, pour une version de concert de l’Enfant et les sortilèges. Amusante idée d’avoir distribué aux chanteurs des panneaux indiquant quels rôles ils chantent, ce qui permettait de s’y retrouver malgré l’absence de mise en scène (mais provoqua quelques rires au début). Le cast fut dominé sans conteste par Sabine Devieilhe en Feu/Princesse/Rossignol qui, drapée dans un merveilleux fourreau de soie mauve, put faire entendre toute la palette de ses couleurs, piani et trilles, avec une justesse proprement époustouflante. Duos des chats hilarants avec le très beau mezzo de Julie Pasturaud et le ténor Jean-François Lapointe, interventions brèves mais gracieuses d’Omo Bello en Chauve-souris/Chouette, hilarant François Piolino (l’Arithmétique/La Grenouille), très belle basse de Nahuel di Piero. Seules déceptions : l’Enfant un peu limité côté volume de Hélène Hébrard et la Maman d’Elodie Méchain, dont la diction se perdait dans l’onctuosité du grave. Interventions somptueuses de rythme et de diction par contre chez le Chœur, à l’impressionnante justesse sur les passages a capella. Salonen tenait l’ensemble de main experte, faisant swinger l’Orchestre de Paris lorsqu’il le faut, communicant sans cesse avec les chanteurs. Il est aujourd’hui sans égal dans ce répertoire. Une performance dans l’ensemble mémorable.

Côté acoustique, je mettrai un bémol : la salle semble peu favorable aux voix de tessitures médianes, qui sont écrasées par l’orchestre. Impression à confirmer vendredi (j’y retourne pour le Requiem de Berlioz et Sokhiev) et peut-être petit défaut à corriger quand la salle sera véritablement achevée.

Pour finir, sachez qu’esthétiquement également je trouve la Philharmonie magnifique. Aussi bien côté extérieur (ce gros diamant posé dans un envol d’oiseaux argentés) que côté intérieur. Je me fiche du prix que ça a couté : Paris et la Culture méritaient bien un auditorium d’exception. Je rappelle aux grincheux que l’Euro 2016 de football coutera bien plus cher au contribuable, durera moins longtemps et n’apportera rien à l’Art.