dimanche 5 février 2017

Verdi au sommet! | Don Carlo, Teatro Alla Scala, 04/02/2017

Oui, Milan c'est plus sympa au printemps. Mais quand une production dont j'ai eu vent il y a trois ans déjà se monte, que c'est un cast de tout premier ordre et que c'est mon Verdi préféré, tant pis s'il faut affronter la pluie et la nebbia milanese!

Ceux qui me suivent savent que je comptais les jours jusqu'à ce Don Carlo en version italienne en cinq actes. D'abord pour la prise de rôle de Francesco Meli, pour moi le seul vrai ténor verdien d'aujourd'hui, ensuite pour le reste du cast : pour une fois, tous les rôles étaient distribués à des chanteurs parmi les meilleurs pour chacune des parties. Enfin, parce que la direction était confiée à un vrai grand chef : Myung-Whun Chung, dont j'avais apprécié le Boccanegra à la Fenice en 2015 (hélas seulement à la télévision). Et puis, la Scala, outre que c'est une toute autre atmosphère que Bastille, c'est là qu'il faut entendre Verdi. Ce théâtre a une âme. Et moi, et bien ce sont des choses que je ressens, même si ça peut paraître absurde. Je rajouterai que j'avais vu la production de Peter Stein lors de sa diffusion depuis Salzbourg, et qu'à défaut de la trouver passionnante, elle m'avait semblée esthétiquement plutôt réussie.

Voilà pour les motivations. Alors, le spectacle fut-il conforme à mes attentes? À part quelques réserves mineures, la réponse est : oui, absolument!

Quelques brefs mots pour commencer sur cette production de Peter Stein ; brefs car... et bien il n'y a pas grand chose à dire. Ce n'est pas une mise en scène, c'est une mise en décors, beaux au demeurant. Direction d'acteurs : néant. Idées? Idem. C'est le degré zéro du théâtre. Des jolis décors et une plate illustration du livret. La seule qualité que j'y trouve c'est que ça permet de se concentrer sur la musique.

Côté direction d'orchestre, il y a aussi à redire : Chung met bien un acte et demi à se chauffer. On n'est vraiment dans le style qu'à partir du second tableau de l'acte deux. Mais la dernière partie (à partir de la scène de l'Inquisiteur) est absolument grandiose. Je n'en dirai pas autant des choeurs de la Scala : c'est petit et pas très en place... la scène de l'Auto da Fe en souffre car elle manque de grandeur. Quand on les secoue un peu, les choeurs de l'ONP sont bien meilleurs. Je balance une tomate au passage aux instrumentistes présents sur scène au moment de cet Auto da Fe : messieurs, quand on est musicien à la Scala, on n'a pas besoin de son petit carton avec ses trois lignes de notes sur la trompette, comme à l'harmonie municipale de Tourcoing... et non, je n'accepte pas l'excuse : "c'est pour la couleur locale flamande".

Passons au cast. J'ai été très heureuse d'entendre enfin en live l'Inquisiteur d'Erik Halfvarson, originellement non prévu. Il est fantastique. Oui, la voix bouge et est dépourvue de legato, mais on s'en moque! C'est censé être un vieillard de toutes façons. Le fait est qu'il EST l'Inquisiteur : effrayant, dantesque... lui seul peut résister au Filippo de Ferruccio Furlanetto. Car en voilà un autre de monstre sacré, dans un très grand soir hier. Voix remontée dans le masque, il arrive néanmoins à camper en deux phrases un roi autoritaire, ombrageux mais profondément humain. Et quel style, quelle puissance! Un monument du chant verdien, et un pur bonheur à entendre. Chapeau bas messieurs les basses. Face à cette statue du commandeur, Simone Piazzola n'a pas la tâche facile. Mais il réussit un Posa plein de jeunesse, de fraîcheur et de fougue, crédible et admirablement phrasé. La scène de la mort de Rodrigo est poignante, sans effets disgracieux et avec une ligne impeccable. Ne manque qu'un peu plus de projection dans les ensembles. Ekaterina Semenchuk reprenait son Eboli, déjà entendue dans la même production à Salzbourg. Elle n'a malheureusement pas toutes les facettes du rôle, car la séduction ne fait pas partie de son vocabulaire expressif. Sa chanson du voile comme son numéro de charme au troisième acte sont peu convaincants (ces hululements sur la vocalise... argh). Par contre, dès qu'il s'agit d'être vindicative ou de faire preuve d'autorité, on la retrouve: elle ne fait qu'une bouchée des sauts de registres du périlleux "O don fatale", dont elle est une des rares à posséder la tessiture.

Je finirai par le couple de premiers rôles. Qu'il soit noté que je rejoins ce jour le fan club des inconditionnels de Krassimira Stoyanova. Quelle Elisabetta elle fait! Ardente, émouvante comme peut savent l'être, digne et fragile... elle donne tout, sans retenue. Et quelle voix! Si elle n'a pas complètement les moyens du rôle (c'est plus un grand lyrique qu'un spinto), elle compense par une technique impeccable et un timbre d'une douceur, d'un velouté infini. Son contrôle du souffle et de la dynamique est à enseigner dans tous les conservatoires. Et ces aigus filés... pas une once de dureté dans ce timbre, pas un changement de couleur, c'est prodigieux de contrôle et de justesse. Dans le dernier tableau, elle aurait fait pleurer des pierres.
"Et lui alors?" Me direz-vous? Et bien il était au rendez-vous. Pour sa prise de rôle, Francesco Meli nous a gratifiés d'une interprétation qui l'installe d'emblée parmi les grands Carlo. La ligne est toujours irréprochable, le style aristocratique, la diction parfaite et le timbre lumineux, de cette clarté argentine qui va si bien au personnage lunaire qu'est l'Infant. L'incarnation, si elle est vocalement déjà très au point, demandera à être affinée niveau théâtre, mais vu l'absence totale de direction d'acteurs, il fait ce qu'il peut (il n'a pas pour le théâtre les talents de Kaufmann... mais il a la voix du rôle, lui!). Alors oui, il m'a oublié un départ dans "Dio che nell'alma infondere" et craqué un aigu au troisième acte (je l'ai senti venir celui-là, j'ai littéralement entendu sa gorge se serrer) mais c'est une question de confiance, ça disparaîtra avec la fréquentation du rôle (c'est ce qui s'est passé pour son Manrico). Le fait est qu'on a enfin le ténor italien pour les grands rôles verdiens, que personnellement j'attendais depuis un certain temps, et ça me rend hyper heureuse. Au dernier acte, dans son duo avec Stoyanova, Meli m'a offert un de mes plus beaux moments d'opéra. Le bonheur, tout simplement. Et Viva Verdi!

Photos : Teatro alla Scala 

jeudi 2 février 2017

Une Flûte bien chantée mais guère enchantée

Après-midi famille dimanche dernier à l’Opéra Bastille : plein de gosses dans la salle, pas mal de touristes et une ambiance détendue plutôt sympathique. Corollaire, bien sûr : public qui applaudit un peu n’importe quoi n’importe où, mais bon ce n’est pas bien grave.

Entre les deux casts proposés, j’avais choisi celui avec Stanislas de Barbeyrac et Nadine Sierra, car fan de l’un et intéressée par l’autre. Que j’ai bien fait ! Le Tamino de Stanislas de Barbeyrac a tout ce que j’aime dans ce rôle : une couleur lumineuse, des phrasés nobles, un legato splendide et une absence totale de cette mièvrerie rédhibitoire chez certains interprètes. Ajoutons à cela une diction claire et le physique du rôle, qui fait qu’il semble descendu de la planète du Petit Prince. J’étais furieuse que le chef enchaîne si vite après son « Die Bildnis » exemplaire, ce qui n’a même pas laissé le temps au public d’applaudir.

Face à lui, la Pamina de Nadine Sierra est une vraie bonne surprise. Voix large et timbre charnu, elle possède en outre une incroyable palette de dynamiques et un éventail de nuances dans « Ach ich Fuhl’s » tel que j’en ai rarement entendu. Jolie personnalité également, qui lui permet de camper une jeune fille forte et moderne. Une chanteuse que je vais continuer à suivre, y compris dans des rôles plus larges que la puissance évidente de sa voix va sûrement lui permettre d’aborder dans les années à venir.

Autre triomphateur de la soirée : le Papageno bien rôdé de Michael Volle, en oiseleur vieux briscard particulièrement réussi et drôle. Vocalement, le rôle est un jeu d’enfant pour lui, son métier lui permettant d’allier à la fois la truculence et la poésie du personnage. Ce n’est hélas pas me cas d’Albina Shagimuratova, qui si elle a le format n’avait pas cet après-midi-là la mobilité dans la vocalise et l’assurance dans l’aigu. Sans doute un mauvais jour, car on sait quelle Reine de la Nuit elle peut être (cf version de la Scala). Belle découverte pour moi que le Sarastro de Tobias Kehrer : quelle autorité ! Quels graves abyssaux ! Franchement impressionnant. Je veux le réentendre en Commendatore !  

Côté seconds rôles, jolie Papagena de Christina Gansch, pas trop légère pour une fois; remarquable trio de garçons des Aurelius Sängerknaben Calw (et forts en football en plus); trio de dames correct sans plus car pas assez équilibré à mon goût : on entendait trop le soprano 1 et quasi pas l’alto. Rien à redire des duos de soldats et de prêtres, bien chantants. Et enfin, un chapeau bas à José Van Dam, revenant sur scène à 76 ans avec toujours ce timbre si particulier et cette autorité un peu inquiétante qui donne à son Sprecher une tonalité quasi d’outre-tombe. Enfin, les chœurs de l’ONP se sont montrés sous leur meilleur jour, solides et bien en place. 

Il n’en va hélas pas de même de l’orchestre (hormis mon ami Jean-Yves Sébillotte qui scintille dans ses solos de célesta), plombé par la direction lourdaude de Henrik Nánási (chef inconnu à mon bataillon). Tout est sur-appuyé, trop souligné, empâté… on perd la grâce de l’ensemble (d’où des décalages dans l’ouverture). Et ces tempi de sénateur… cette direction participe à la réussite mitigée des deux airs de la Reine de la Nuit : comment voulez-vous être en place sur la longue vocalise finale du premier air quand vous êtes à ce point alourdie par le chef ? Bref, encore une fois à Paris, quand on a un cast de premier ordre on a soit un chef de second plan, soit un somnifère made in Philippe Jordan. Ça commence à être lassant.


Reste la mise en scène de Carsen. Et bien pour moi ce n’est pas une réussite. Si c’est visuellement acceptable et que cette avant-scène autour de l’orchestre est une vraie bonne idée (cela rapproche les chanteurs, habituellement si éloignés du public dans le grand vaisseau de Bastille), s’il y a des effets réussis (la division haut / bas au second acte, le projections vidéo), tout cela manque de merveilleux et de magie. L’entrée de la Reine de la Nuit, anodine et privée de sa stature surhumaine, en souffre beaucoup. Idem pour l’arrivée des animaux appelés par la Flûte : quelques vagues oiseaux sur un écran, c’est maigre comme pouvoir enchanteur. Le reste n’est que déjà-vu (Papageno SDF) ou ennui. Mes enfants ont été déçus, et ils n’étaient certainement pas les seuls dans la salle. Et oui, M. Carsen, multiplier les flûtes sur scène ne suffit pas à les enchanter. Pourquoi l’ONP ne nous rend-il pas la merveilleuse mise en scène de Benno Besson, et à Garnier s’il vous plaît ? C’est tout bonnement incompréhensible, et c’est tellement dommage !

Photos : © Emilie Brouchon/ONP