jeudi 12 mai 2016

La boîte à souvenirs de Rigoletto | ONP 10/05/2016

J'avais hâte de voir ce Rigoletto mis en scène de Claus Guth. J'aime beaucoup ce metteur en scène, qui a signé un de mes Don Giovanni préférés. Et bien j'ai été assez déçue. Ce n'est pas mauvais, mais c'est anodin. Un grand carton qui sert de décor unique, version en grand du petit carton qui contient tous les souvenirs d'un Rigoletto clochardisé qui revit, sous la forme d'un double du chanteur, sa triste histoire. Quelques images projetées assez jolies. Et puis, c'est tout. Ça ne fait pas beaucoup. S'y rajoute un ratage au 3e acte, avec ces danseuses de cabaret emplûmées qui provoquent les rires de la salle. Et quasi aucun jeu d'acteurs. Bref, du tout petit Claus Guth. Dommage.

D'autant plus dommage que ce soir-là on avait un vrai chef verdien, Nicola Luisotti, tirant de l'orchestre des dynamiques, des nuances et des couleurs superbes, et un choeur particulièrement en forme. Idem pour les comprimari, avec notamment un Marullo sonore, Mychał Partyka, un Monterone au volume impressionnant, Mikhail Kolelishvili, et une très belle Giovanna, Isabelle Druet.

Côté seconds rôles, graves abyssaux pour le Sparafucile de Rafał Siwek et pour la revenante Vesselina Kasarova... même si la concernant il ne reste hélas plus que ça, et ce n'est certainement pas assez pour faire une Maddalena.

Passons au trio de protagonistes. Ce n'est pas cette représentation qui m'aura fait changer d'avis sur Francesco Demuro. Le timbre est joli, le style adéquat, mais la voix n'a pas le volume pour chanter le Duc à Bastille et donc le chanteur pousse, détonne, s'étrangle sur tous les passages, particulièrement au 1er acte, où Marullo sonne plus que lui! Il se rattrape avec un "Parmi veder" honorable et un dernier acte correct. Alors oui, il nous gratifie de quelques suraigus optionnels... mais ce n'est pas ce que j'attends d'un Duc de Mantoue. Et côté jeu d'acteur, il est bien falot et on ne comprend guère ce qu'elles peuvent toutes lui trouver. Bref, un Rigoletto quasi sans ténor et ça déséquilibre l'ensemble.
En Gilda, Olga Peretyatko a du charme à revendre, un timbre fruité absolument ravissant, un naturel confondant et une silhouette de rêve. Et elle joue si bien! Néanmoins, je l'ai trouvée fatiguée, les suraigus à la peine voire escamotés. Est-ce d'avoir remplacé Irina Lungu, souffrante, à la représentation précédente? Et reste toujours ce problème sur les trilles, où je ne comprends absolument pas ce qu'elle fait techniquement... très problématique sur "Caro nome". Reste qu'elle m'a profondément émue dans sa dernière scène et que rien que pour ça je trouve sa Gilda réussie.
Quinn Kelsey enfin. Je l'avais découvert en Paolo Albiani dans un Boccanegra à Rome et il m'avait impressionné par sa puissance. La voix est effectivement très bien projetée, très belle surtout dans l'aigu, le grave manquant un peu de ténèbres. Le chanteur est un peu fruste mais très engagé et émouvant, s'il n'est guère idiomatique dans Verdi. Par contre, est-ce la fatigue? -- il faisait son retour après deux forfaits pour indisposition -- j'ai trouvé son "si vendetta, tremenda vendetta" peu impressionnant. Sans doute un peu de prudence de sa part ou de retenue, ce qui lui a permis d'assurer une grande et belle dernière scène.

Le 2e volet de cette Trilogie Populaire verdienne de l'Opéra de Paris aura donc été pour moi plus satisfaisant dans l'ensemble que le 1er. Reste à attendre la conclusion, avec Traviata en juin!

Photos ONP

dimanche 8 mai 2016

Come è bello il mio Mario! | Tosca | Teatro Carlo Felice 06/05/2016

La reprise de la Tosca mise en scène par Davide Livermore méritait bien un déplacement pour le week-end dans la cité de Boccanegra, car elle affichait les débuts de Francesco Meli en Cavaradossi.

Cette mise en scène est une excellente occasion de réconcilier les anciens et les modernes. Fidèle à la lettre du livret, sauf pour une petite transgression dans l'ultime scène, elle prouve qu'on peut, grâce à un dispositif scénique innovant, être à la fois traditionnel et actuel. Le grand plateau triangulaire tourne sur lui même, variant les plans scéniques, illustrant les rapports de force en jouant sur les positions verticales des personnages, juxtaposant les scènes (la salle de torture, brièvement entrevue, la chapelle Attavanti...). Un travail d'orfèvre, très cinématographique, qui sert le livret, ne perd jamais le spectateur en route, évite tout sentiment de statisme. C'est totalement Tosca, mais dépoussiéré. S'y rajoutent de très belles lumières et de beaux costumes Empire, une vraie réussite.

Côté orchestre, Dimitri Jurowski tient bien ses troupes, sait ménager ses effets et aider ses chanteurs, même s'il n'évite pas quelques lourdeurs deci-delà. Les choeurs réussissent bien le Te Deum, spectaculaire et embrumé d'encens, et le petit berger du 3e acte ne mérite que des éloges pour la justesse de sa voix et tout le coeur qu'il a mis dans son air. Beaux comprimari, surtout le sacristain, drôle à souhait et très bien joué.

Passons au trio des protagonistes principaux. Je n'ai pas été totalement convaincue par le Scarpia d'Angelo Veccia, dont la voix est belle mais qui à mon sens manque un peu d'autorité et de méchanceté.

Par contre, très belle prestation d'Amarilli Nizza dans le rôle titre: présence scénique, silhouette de rêve, puissance et surtout un engagement émotionnel de chaque instant, elle est poignante et emporte l'adhésion tant elle est son personnage. Beaucoup d'émotion et de ferveur dans son Vissi d'arte. Une bien belle Tosca, à tous points de vue.

Je terminerai bien évidemment par celui que j'étais venue entendre. Francesco Meli fait des débuts enthousiasmants en Mario. Il est tout simplement magnifique. Lumière du timbre, puissance, ne sacrifiant jamais à l'effet mais dessinant un Mario à la fois tendre et viril par les seules nuances et couleurs... une leçon de chant puccinien, débarrassé de tout vérisme. Cela donne un Recondita armonia d'une douceur inouïe, des Vittoria sonores et surtout un E lucevan le stelle si poétique et poignant qu'il suscite une ovation et... un bis! Bon, je n'aime pas qu'on bisse cet air car cela interrompt l'action, mais je n'ai pas boudé mon plaisir. Et comme Amarilli Nizza n'a pas oublié de faire son entrée, pas de problème. On ne saurait reprocher au plus grand ténor italien actuel d'être prophète en son pays et en sa ville!

De quoi s'écrier, comme Tosca: "Come è bello il mio Mario!" et regretter, une fois encore, l'absence de Francesco Meli sur nos scènes parisiennes dans les 2 ans qui viennent... tant pis pour nous, et tant mieux pour les génois!