jeudi 5 février 2015

Les sortilèges de la Philharmonie de Paris

Ce fut donc hier pour mois la grande première à la Philharmonie de Paris, avec un concert qui s’annonçait exceptionnel sur le papier : Esa-Pekka Salonen, l’Orchestre de Paris et un très beau cast de chanteurs – dont Sabine Devieilhe – pour une soirée Ravel : ballet intégral de Ma mère l’Oye et l’Enfant et les sortilèges. Et bien ce fut exceptionnel.

En première partie, l’Orchestre de Paris, en formation resserrée, faisait entendre toute sa palette de couleurs, de dynamiques et tout le talent de ses solistes. Quelles qualités notamment chez les cors, les flûtes, les bassons ! Sans baguette, libérant son exceptionnelle gestuelle des mains, Esa-Pekka Salonen dirigeait au cordeau cette partition où le rythme est si prégnant, son corps suivant les pulsations et mouvements de la musique dans une sorte de danse que je ne me lasserai jamais d’admirer. Voir Salonen diriger, c’est pour moi aussi beau que de voir Nicolas Le Riche danser du Béjart. Un moment de grâce conclu par un crescendo hallucinant, qui me permit de constater l’exceptionnelle acoustique de cet auditorium que le monde va nous envier (cf tweet du même Salonen cette semaine disant, en résumé : « Londres, quand aurons-nous la même ? »).

Après la pause, la phalange parisienne revenait au complet, accompagnée d’une petite formation du Chœur de l’Orchestre de Paris, des enfants de la Maîtrise et d’un cast de chanteurs de premier plan, pour une version de concert de l’Enfant et les sortilèges. Amusante idée d’avoir distribué aux chanteurs des panneaux indiquant quels rôles ils chantent, ce qui permettait de s’y retrouver malgré l’absence de mise en scène (mais provoqua quelques rires au début). Le cast fut dominé sans conteste par Sabine Devieilhe en Feu/Princesse/Rossignol qui, drapée dans un merveilleux fourreau de soie mauve, put faire entendre toute la palette de ses couleurs, piani et trilles, avec une justesse proprement époustouflante. Duos des chats hilarants avec le très beau mezzo de Julie Pasturaud et le ténor Jean-François Lapointe, interventions brèves mais gracieuses d’Omo Bello en Chauve-souris/Chouette, hilarant François Piolino (l’Arithmétique/La Grenouille), très belle basse de Nahuel di Piero. Seules déceptions : l’Enfant un peu limité côté volume de Hélène Hébrard et la Maman d’Elodie Méchain, dont la diction se perdait dans l’onctuosité du grave. Interventions somptueuses de rythme et de diction par contre chez le Chœur, à l’impressionnante justesse sur les passages a capella. Salonen tenait l’ensemble de main experte, faisant swinger l’Orchestre de Paris lorsqu’il le faut, communicant sans cesse avec les chanteurs. Il est aujourd’hui sans égal dans ce répertoire. Une performance dans l’ensemble mémorable.

Côté acoustique, je mettrai un bémol : la salle semble peu favorable aux voix de tessitures médianes, qui sont écrasées par l’orchestre. Impression à confirmer vendredi (j’y retourne pour le Requiem de Berlioz et Sokhiev) et peut-être petit défaut à corriger quand la salle sera véritablement achevée.

Pour finir, sachez qu’esthétiquement également je trouve la Philharmonie magnifique. Aussi bien côté extérieur (ce gros diamant posé dans un envol d’oiseaux argentés) que côté intérieur. Je me fiche du prix que ça a couté : Paris et la Culture méritaient bien un auditorium d’exception. Je rappelle aux grincheux que l’Euro 2016 de football coutera bien plus cher au contribuable, durera moins longtemps et n’apportera rien à l’Art.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire