lundi 11 mai 2015

L'amour est enfant de La Havane - Carmen, Teatro Carlo Felice, Gênes, 8 mai 2015

Vendredi soir j'ai pu, grâce au streaming live gratuit organisé par le Teatro Carlo Felice de Gênes, regarder une Carmen que je ne suis pas prête d'oublier.

Une fois n'est pas coutume : je ne vous parlerai pas des voix. Meli, Ganassi et Gamberoni étaient tous les trois très bons vocalement et ont les voix de leurs rôles (avec quelques réserves concernant Ganassi) mais pour les oreilles d'une française la diction et l'articulation du texte font que ça ne pouvait pour moi être inoubliable, même si bien chanté. Heureusement que presque tous les dialogues parlés avaient été coupés!

Non, ce soir je veux vous parler mise en scène. La Carmen du Carlo Felice ne se passe en effet pas à Séville, mais à La Havane avant l'avènement de Castro. Carmen est une révolutionnaire, ses compagnons des guerrilleros, son Escamillo un Che Guevara. Don José est un soldat affublé d'une chemise couleur corail et d'un pantalon canari et Micaëla une jeune fille de bonne famille en satin mauve très Grace Kelly (quelle belle allure a Serena Gamberoni!).

L'ambiance est colorée et sent le cigare et le rhum. Sur fond de front de mer (le plateau tournant et sur 2 niveaux du Carlo Felice permet de beaux effets de profondeur) tout est couleur, danse, chromes années 50 et coiffures Rita Hayworth. Le décor ainsi posé, on entre dans un univers aussi moite que violent, où les claques pleuvent (Morales et ses soldats sont des brutes à qui Micaëla finit par coller une gifle), où l'atmosphère pré-révolutionnaire est électrique. C'est très réussi et sans une once de kitsch espagnol. À l'entrée de Carmen, José est au balcon du corps de garde et ne l'ignore pas du tout! Pas de jet de fleur, l'attraction est immédiate et assumée : pendant le duo avec Micaëla, Carmen est à l'arrière plan et il n'a d'yeux que pour elle. Pas besoin de corde quand elle est arrêtée, leurs sorts sont déjà liés.

Le 2e acte débute au "Lillas Pastia Social Club", où Carmen au micro chante "les tringles et les cistres" accompagnée de danseuses "Chiquita Banana". Entre Escamillo: il porte treillis noir et brassard rouge, il est le Commandante charismatique vers qui toutes se tournent. Le parti pris fonctionne. À l'arrivée de José, Carmen chante en s'accompagnant aux bongos. Meli réussit un superbe air de la Fleur (hélas sans le pianissimo sur "toi" que je l'ai pourtant entendu faire ailleurs) puis arrive Zuniga. On se bat, il pleut des coups et Zuniga est abattu d'une balle dans la tête par le Dancaïre. Les révolutionnaires ne font pas de cadeaux. José est forcé de rejoindre les guerrilleros dans la montagne cubaine.

Au 3e acte, photos du Che pendant l'intermezzo, puis un mur où est écrit en rouge "Revolución". Les guerrilleros arrivent. Ils ont capturé les douaniers. Carmen, Frasquita et Mercedes jouent avec eux un jeu lascif avant de les égorger lors d'une exécution sommaire. Micaëla arrive et trouve, épouvantée, leurs corps (Serena Gamberoni réussit magistralement son air). Pour une fois, Micaëla n'est pas une jeune fille pleureuse mais une femme combative, s'interposant face à la violence de José, se dressant tel un chat, toutes griffes dehors, face à Carmen pour reprendre son homme, de gré ou de force. Ça change, et vraiment en bien! Pour un peu j'en aimerais presque le personnage.

Le dernier acte nous épargne toutes les espagnolades: pas de matador, de picadors ou de chevaux, mais la grande corrida révolutionnaire, où sur une estrade tournante au 2e plan de la scène, les chefs des guerrilleros haranguent une foule au poing levé pendant un interminable discours, comme Castro savait les faire.
Au 1er plan, José, qui a troqué son treillis de guerrillero pour son uniforme de soldat du début, laisse éclater toute sa rage et poignarde Carmen. Le havane est consumé.

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