jeudi 4 février 2016

Anna et Ludovic au firmament | Il Trovatore, Opéra de Paris 03/02/2016

Hier, c’était mon tour d’assister à ce Trovatore de Verdi qui s’annonçait comme la production de l’année à l’Opéra de Paris.

Je vous épargne une énième mention de la boutade de Toscanini, qu’en plus je trouve fausse : pour faire un bon Trovatore, à mon sens il faut avant tout de l’équilibre entre les quatres rôles principaux. Et hélas, c’est pour moi ce qui manquait à la soirée d’hier.

Je ne reviendrai pas sur la mise en scène d’Alex Ollé, que j’ai déjà vue à Amsterdam (http://dilettantecoloratura.blogspot.fr/2015/10/amour-et-vendetta-sur-fond-de-grande.html), bien qu’elle ait un peu évolué dans ses détails (Manrico entre sur un brancard au 2e acte ou n’est plus enchaîné au dernier acte; le costume de Leonora est beaucoup plus glamour au 1er...) et qu’il me semble que pour cette version parisienne un soin nettement moindre ait été donné au jeu d’acteurs (moins de répétitions ?).

Mais puisque j’ai deux versions de la même mise en scène en mémoire, je ne peux éviter la comparaison. Côté orchestre, Paris l’emporte nettement sur Amsterdam : le chef Daniele Callegari est beaucoup plus tonique que Maurizio Benini, les tempi sont vifs, l’ensemble est enlevé, même si j’ai parfois trouvé certains cuivres (notamment le cimbasso et les trompettes) trop en dehors. Côté chœurs par contre, match nul : je n’avais pas jugé les chœurs fabuleux à Amsterdam, mais force est d’avouer que Paris ne fait pas mieux : tout comme pour la Damnation de Faust, j’ai trouvé notamment le chœur d’hommes de l’ONP peu précis dans ses attaques, peu investi et somme toute un rien décevant, ce qui est dommage avec toutes les occasions de briller que leur fournit la partition. Côté "comprimari", rien à dire : ils sont très bien (Roberto Tagliavini était d’ailleurs déjà Ferrando à Amsterdam).

Venons-en donc au quatuor de solistes : et là, la production entendue à Amsterdam l’emporte largement, car beaucoup plus équilibrée. En effet, là où Giannattasio, Urmana, Meli et Piazzola formait un quatuor de voix d’un niveau égal, la production de l’ONP voit se détacher nettement deux protagonistes au détriment des deux autres. Cela n’étonnera personne : Anna Netrebko et Ludovic Tézier sont superlatifs. Elle, timbre de velours, alliant puissance, rondeur, art belcantiste, investissement , aigus diaphanes et graves sépulcraux : elle est incandescente. Ne lui manque qu’une diction un peu plus nette, mais je chipote. Lui, grand style, voix de stentor (qui a dit que Bastille est ingrat pour les voix graves ???), ligne impeccable, aigu d’une sureté absolue : il vole totalement la vedette au ténor au point qu’on ne comprend pas comment Leonora peut préférer Manrico à un tel Comte de Luna !

Et oui, car Manrico, hier soir, était aux abonnés absents ! Dès son entrée, Marcelo Alvarez bâcle, presse et phrase comme une mitrailleuse son "Deserto sulla terra". La suite du rôle le voit aride de timbre, dénué de ligne, le souffle court, marquant chaque aigu d’un coup de glotte, quand il n’est pas tout simplement décalé de plusieurs temps. Il se rattrape certes un peu en phrasant honorablement son "Ah, si, ben mio", mais pour rater ensuite colossalement sa Pira (je ne lui en veux pas, je déteste ce morceau que je ne trouve absolument pas représentatif de la vocalité du rôle). Tous ces problèmes techniques font qu’il dessine un personnage de brute un peu stupide, pas attachant pour deux sous et sans aucune alchimie avec les deux rôles féminins. J’en viendrais presque à regretter de ne pas avoir entendu Yusif Eyvazof, que je ne connais pas mais qui au moins aurait eu du feeling avec son épouse !

Seconde déception du cast : l’Azucena d’Ekaterina Semenchuk. La voix n’est absolument pas en cause : elle est grande, belle, puissante sur toute la tessiture et bien conduite. C’est le personnage qui pêche. Or c’est un personnage central (Verdi avait un temps songé à appeler son opéra "La Bohémienne") et donc il manque clairement quelque chose à la dramaturgie. Là où Urmana campait une mère abusive, immense, dantesque, manipulant comme un enfant son Manrico, Semenchuk dessine une gitane en retrait, presque fragile. Enfermée dans sa folie, elle n’en impose pas... au point qu'il m'a fallu au moins trente secondes pour la repérer au début de "Stride la vampa"! Est-elle encore foncièrement trop jeune pour le rôle ? Cette superbe Eboli ou Amneris est peut-être encore trop "femme amoureuse" dans l’âme pour faire une mère crédible. Elle gagnera je pense à être entendue à nouveau dans le même rôle, mais dans 10 ans!

Pour vous faire votre avis, je vous recommande donc de ne pas rater la diffusion dans les cinéma UGC le jeudi 11 février ou sur Mezzo Live HD le 18 février. Et puis, la performance magnifique d’Anna Netrebko et Ludovic Tézier en vaut vraiment la peine!

Photos: Charles Duprat | Opéra National de Paris

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