mercredi 23 mars 2016

Ecco la mia Venezia! | I due Foscari | Teatro alla Scala 22/03/2016

Une occasion de dernière minute m'a donc permis d'aller assister à l'avant-dernière représentation de "I due Foscari" de Giuseppe Verdi, dans la nouvelle production de la Scala, avec Luca Salsi en lieu et place de la star Placido Domingo, pour laquelle cette production a été créée.

Première constatation : la mise en scène d'Alvis Hermanis rend beaucoup mieux live qu'à la télévision. Les tableaux sont beaux, mouvants (ce voyage en gondole sur le Grand Canal!), superbement éclairés et l'ensemble, complété d'élégants costumes, est de très bon goût, même si éminemment traditionnel et avare de jeu d'acteurs. Beaucoup plus proche du Trovatore de Salzbourg que de la Damnation parisienne, et franchement ce n'est pas moi qui m'en plaindrai : pas de grandes questions à se poser sur le "concept" : c'est Venise, son lion de Saint Marc, sa lagune, son Pont des Soupirs et tout ce qui la rend unique et si chère au coeur du malheureux Jacopo Foscari, qui va en être exilé.

Côté chant, je n'ai rien perdu non plus à la présence d'un vrai jeune baryton Verdi plutôt qu'un ténor reconverti pour sa fin de carrière : les équilibres des ensembles en sont renforcés, la cohérence de l'oeuvre également. Que la majorité du cast soit, pour une fois dans le monde de l'opéra d'aujourd'hui, italien est encore un sujet de satisfaction : les couleurs, le style et la diction sont impeccables.

Dans le rôle titre, Luca Salsi m'a fait forte impression. Volume considérable, tessiture homogène avec de très beaux aigus, chanteur engagé et profondément émouvant, il parvient à rendre crédible son personnage de vieux Doge et mérite amplement l'ovation que lui réserve le public (jeune : c'était une soirée "moins de 30 ans") aux saluts.

À ses côtés, la soprano Anna Pirozzi ne manque pas d'atouts : elle a de la présence, de la puissance et du tempérament. Le timbre n'est pas à mon goût (pas assez de rondeur et d'angélisme) mais ça c'est personnel et pas forcément gênant pour cette femme en colère qu'est Lucrezia Contarini. Dommage que la plupart des aigus, s'ils passent aisément dans les ensembles, soient néanmoins émis en force, mais peut-être est-ce dû à la fatigue après une longue série de représentations? Reste qu'elle m'a émue, notamment dans le duo de l'acte 2, et qu'elle a su me rendre son personnage attachant.

Tous ceux qui me lisent savent que ma principale raison de vouloir voir cette représentation, outre l'oeuvre que j'aime beaucoup, était le ténor verdien du moment, Francesco Meli. Et bien, j'ai eu ce dont je rêvais : il était dans une forme éblouissante. Timbre de soleil, aigus radieux, diction superlative, souffle inépuisable, cantabile à tomber, osant toutes les nuances possibles, variant la dynamique... que dire? Vocalement anthologique. Bien sûr, ce n'est pas un acteur né : il a tendance à tout chanter à genoux ou la main sur le coeur à l'avant-scène, mais vu qu'Hermanis n'a de toutes façons pas prévu de demander autre chose aux chanteurs, cela ne se remarque guère. Et puis, Meli a une vraie affinité avec ces rôles mélancoliques (Jacopo Foscari, Werther...), bien plus qu'avec les rôles de bravoure. Il y est très attachant et crédible. Je rêve, encore une fois, de ce Don Carlo dont il parlait en 2014... peut-être pour la prochaine saison de la Scala avec Chailly?

Enfin, placée comme j'étais, j'ai eu l'occasion d'admirer la direction brillante de Michele Mariotti, qui en plus a des mains absolument magnifiques. Soyons tranquilles : la relève des chefs italiens dans Verdi est assurée! Il a une façon extraordinaire de faire vivre les ensembles, il ne couvre jamais les chanteurs, sait faire ressortir les nombreux petits bijoux de détails d'orchestration dont fourmille cette partition. Vraiment bravo. Mention spéciale au Choeur de la Scala, impressionnant d'autorité, et au clarinettiste solo (qui nous a gratifiés, pendant l'entracte, d'un extrait du concerto pour clarinette de Mozart que bien peu semblent avoir remarqué). Les comprimari étaient tous très bons, même si j'ai trouvé le Loredano d'Andrea Concetti un peu falot pour celui qui incarne la Némésis des Foscari.

Une soirée qui faisait honneur à ce Verdi des "années de galère" trop souvent négligé et qu'on voudrait entendre plus souvent sur les scènes françaises.

PS : je crois que je ne m'habituerai jamais à ce public scaligère, qui parle pendant la représentation, bat du pied et semble toujours dissipé. Mais bon, ils ont sans doute raison : l'opéra c'est la vie!

Crédits photos : Teatro alla Scala

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