dimanche 23 juin 2019

Le sommet de la saison 2018/2019 | Iphigénie en Tauride, Théâtre des Champs-Elysées, 22/06/2019

Il est des spectacles dont la perfection ne souffre aucune réserve. La première d'Iphigénie en Tauride hier au TCE est de ceux-là. Rien ne pèche, tout est pertinent, à sa place, lumineux, émouvant. On en ressort bouleversé, changé.


La mise en scène de Robert Carsen d'abord. Sobre, lisible, sans cesse en mouvement, avec ces danseurs qui miment le chœur (qui lui est en fosse) ce tombeau noir où le destin des Atrides s'écrit à la craie blanche et s'efface par les larmes. Epure à l'Antique mais d'une intense modernité.


L'orchestre, le chœur et leur chef, ensuite, enlevés, colorés, vivants, rendant chaque détail de cette dentelle qu'est la musique de Glück, où aucune note n'est anodine ou superflue. Mention spéciale au hautbois solo, d'une douceur extraordinaire, et au cors naturels, remarquables de justesse.


Les chanteurs, enfin, avec une distribution de référence, la plus belle réunie depuis la gravure essentielle de Minkowski. Merveilleuse Iphigénie de Gaëlle Arquez, qui maîtrise la tessiture meurtrière du rôle, entre soprano et mezzo, la prosodie, avec une phrase longue, conduite avec précision et intensité mais sans forcer, la diction noble et précise et les couleurs surtout, alternant raucités et douceur, dardant les aigus, faisant sonner des graves sépulcraux. Elle m'a tiré des larmes. Et quelle présence! Quel art de se mouvoir parmi les danseurs! Cette performance de haute lignée, elle la partage avec Stéphane Degout, chez qui on retrouve les mêmes qualités. La voix de velours à la projection toujours remarquable, l'élégance royale de la ligne, la diction superlative, l'intensité du personnage, la grâce enfin, quand soulevé par les Euménides il marche sur les murs du tombeau. Il est du sang des Dieux! Excellente surprise que le Pylade de Paolo Fanale, dont le français ne dépare pas et qui se sort d'un rôle qui sollicite beaucoup le grave avec noblesse. Il tire le meilleur des magnifiques airs offerts par la partition. Thoas sanguinaire à souhait d'Alexandre Duhamel, dont j'avais déjà beaucoup apprécié le Golaud. Beaux comprimari, avec mention spéciale à la Diane de Catherine Trottmann, que j'ai vu entrer avant tout le monde, à la droite de mon strapontin du 1er balcon, et dont la divine intervention met un terme monumental à cette tragi-comédie grecque. Un chanteuse qu'on souhaiterait retrouver rapidement dans un rôle plus long!


Encore une fois mille fois merci au TCE pour l'exigence et de la qualité de sa programmation. Et un mot pour le public: courez-y, ce n'était pas plein hier et c'est à ne rater sous aucun prétexte!

dimanche 2 juin 2019

Mario, con te... | Tosca, Opéra de Paris, 01/06/2019

Quand on a assisté à une soirée grandiose, ça donne envie de rouvrir un blog laissé longtemps en jachère. L'esprit n'en a pas changé: aucune vocation de critique, juste un compte-rendu (certes informé) de mes joies et de mes déceptions.

Historique de ma présence hier à Bastille : en apprenant l'annulation des premières dates de cette Tosca parisienne par Jonas Kaufmann, pour cause de fausse voie (sans mauvais jeu de mots), je n'avais pas été surprise. Par contre, en apprenant que la première avait vu pour le remplacer Vittorio Grigolo et n'ayant pas pu y aller car j'étais dans un avion entre Zurich et Paris, j'étais franchement dégoûtée. Du coup, je m'étais dit: mince, Tosca est mon opéra préféré, j'en connais chaque note, je n'ai pas vu la production d'Audi, je devrais peut-être me prendre une place. Mon choix s'était arrêté sur le 1er juin, parce que ça convenait dans mon planning un peu surchargé et parce que, qui sait, je pourrais peut-être me réconcilier avec Jonas, et puis il y avait Yoncheva et Salsi, alors pourquoi ne pas essayer... Et là, mercredi matin, je pousse un cri de joie: Kaufmann a annulé et VITTORIO le remplace!!! L'occasion manquée se représente! Du coup, je compte les jours et enfin arrive samedi. On m'annonce l'annulation de Yoncheva? Pas grave, sa remplaçante Elena Stikhina est paraît-il superbe et puis de toutes façons rien ne peux gâter mon humeur. Ce sera forcément une grande soirée... Et ça l'a été!!!

Dès son entrée, Vittorio Grigolo EST Mario, il n'y a rien à ajouter, il a tout: la couleur, magnifique de lumière, le volume (il remplit plus Bastille que beaucoup), la ligne, la diction, les demi-teintes, les nuances... et le physique! Pour Mario c'est quand même vraiment un plus (désolée, je suis futile, mais j'assume). Son Recondita armonia, qui cueille si souvent les ténors à froid, est merveilleusement phrasé, émouvant, subtil, et sans les excès de mouvements de bras dont il est coutumier. Et quand entre la Tosca d'Elena Stikhina, l'alchimie entre les deux chanteurs est immédiate: ils ont l'air tellement vrais, amoureux, jeunes (bon, c'est un peu excessif au niveau du bécotage quand même)! L'acte II trouve également Vittorio en pleine forme, lançant ses Vittoria avec force et panache, sans se rater sur la reprise grave et l'acte III nous vaut un E lucevan le stelle tout en émotion et désespoir, qui déchaîne les bravos d'un public conquis. Vittoria! Rajoutons qu'il meurt très bien, après avoir été décollé des lèvres de sa partenaire, il a jusqu'aux genoux qui tremblent avant le coup fatal. Par contre c'est dommage qu'il fasse à ce point le clown aux saluts, même pour moi c'est too much.

Place à sa partenaire du soir, Elena Stikhina, remplaçant donc au pied levé une Yoncheva grippée (elle a été prévenue vers midi!). Elle m'a séduite tout en me laissant perplexe. La silhouette est magnifique, gracieuse, avec un port de reine (ou de madone), le personnage, mi première communiante mi tigresse, est intéressant. La voix est belle, on sent que le volume peut être considérable mais la chanteuse est sur la réserve, chantant très piano et interrompant assez abruptement toutes ses fins de phrases. C'est déroutant mais ça interpelle. Après, il est impossible de juger vraiment: elle n'avait pas répété, on n'a même pas eu le temps de mettre à sa taille la robe prévue au IIe acte (elle portait la même robe qu'au Ier, juste agrémentée d'une tiare)... Sans doute avec des répétitions aurait-elle été plus à l'aise. Néanmoins un Vissi d'arte merveilleusement recueilli qui m'a séduite, n'eut été un étrange effet sur "signior", presque hoqueté... était-ce voulu? Admettons. Grande impression au moment du meurtre : elle tue Scarpia avec une sauvagerie terrible, et j'ai trouvé son rire au moment du "avanti a lui tremava tutta Roma" très bien trouvé! Très bel acte III enfin, touchante et fragile dans le duo et avec un cri final à la mort de Mario si vrai qu'il m'a fait frémir. Une belle Tosca que j'aimerais revoir dans des circonstances plus normales.

Luca Salsi, que j'avais apprécié en Francesco Foscari à la Scala, pâtit ici de l'acoustique de Bastille, ingrate pour les voix graves. Du coup, il se sent obligé d'aboyer parfois pour passer la rampe et c'est dommage. Sinon, le personnage de brute est bien dessiné, il fait peur à souhaits, mais l'interprétation est fruste. Je préfère somme toute des Scarpias plus sadiques et aristocratiques.

De bons comprimari, même si je n'ai pas adhéré à ce Sacristain sérieux... mais sans doute est-ce un choix de mise en scène (Eglise oppressante...). Mise en scène dont je n'ai d'ailleurs rien à dire: elle n'est, pour paraphraser un ami, "pas gênante" hormis le fait qu'elle nous prive du saut de Tosca dans le vide en situant le 3e acte en rase campagne dans un camp de l'armée de la Reine de Naples, rendant ainsi la fin bancale voire incompréhensible.

Les choeurs de l'ONP m'ont déçue dans le Te Deum (ça devient une habitude...). Ca manquait d'ampleur et de ferveur. Ils pourraient prendre des leçons d'engagement de la part du choeur du Teatro Carlo Felice de Gênes. Côté orchestre, Dan Ettinger parvient à tenir son plateau malgré les circonstances, mais que diable venaient faire ces coups de gong tonitruants au IIIe acte??? On n'est pas dans Turandot!

Ceci dit, ce ne sont que de petites choses, qui n'entachent pas ce qui est sans doute une des plus belles Tosca que l'ONP ait vu depuis longtemps. Aucun regret d'avoir cassé ma tirelire!

dimanche 10 juin 2018

Ernani (involami!) - Opéra de Marseille | 10.06.2018

Cela faisait un moment que je n'avais pas écrit un post de blog. Manque de temps, manque de motivation... je m'y remets, portée par l'enthousiasme d'une fabuleuse après-midi marseillaise, mais en version brève car ma pile de boulot m'attend.

La première chose à dire de cet Ernani phocéen c'est que son cast est aujourd'hui difficilement égalable. Le premier Verdi ne souffre pas la médiocrité: il faut des voix. Quand on les a, tout va, même si la mise en scène est juste une mise en tableaux sans éclairages (je ne la commenterai pas, puisque pas vue dans son intégralité).

Et puis quel bonheur d'être, pour un prix raisonnable, si près des chanteurs et dans un théâtre qui a une réelle acoustique! J'en ai pris plein les oreilles! Ca me change de Bastille où je n'arrive jamais à "rentrer dans la performance".

Les voix, donc. Commençons par les graves. Alexander Vinogradov, annoncé souffrant à l'entracte, nous craque un ou deux aigus, mais quels graves! Et une fois débarrassé, pour les 2 derniers actes, de ses ridicules postiches, il campe une sorte de Commandeur terrifiant qui vient annoncer sa mort à Ernani. Superbe.

Que dire du régional de l'étape, Ludovic Tézier, sinon qu'il était parfait en Don Carlo (Quinto)? Autorité vocale et scénique, timbre, phrasés, puissance... depuis des lustres ce rôle n'a pas été interprété avec autant d'évidence. Justement ovationné aux saluts.

Le rôle titre était bien sûr tenu par mon ténor préféré... et je ne suis pas prête d'en changer. Dès la première note de la cavatine on sait que Francesco Meli est dans un bon jour: lumière du timbre, aigus glorieux, diction à tomber, ligne vocale parfaite, demi-teintes... le premier Verdi, encore très belcantiste, lui va toujours comme un gant. Personne aujourd'hui ne chante ça comme lui. Même la présence scénique souffre moins qu'à l'ordinaire, car le rôle est cher à son coeur et il y met une ardeur juvénile, même si la gestuelle est convenue (c'est assez général dans cette mise en scène). Meli est une sorte de "madeleine" pour moi: un ténor avec des accents des années 50, qui me rappelle Bergonzi pour la ligne et Corelli pour le naturel de la diction. Et quand en plus on est à 5 mètres et qu'on voit toutes les émotions sur son visage...

Reste la prima donna : Hui He. Quand on ne la met pas dans des circonstances impossibles (remplacer Netrebko au pied levé à Bastille), elle est très bien. Voix ample, chaleureuse, homogène sur toute la tessiture, elle distille beaucoup d'émotion, notamment au tableau final. Dommage qu'elle soit toujours un peu figée, mais franchement elle tenait le choc face à ce trio d'hommes de haut vol. Rien que pour ça, chapeau bas.

Orchestre dirigé avec verve par Foster, même si parfois des accélérations subites mettent le choeur, au demeurant superbe, en difficulté. Ceci dit, la joie des musiciens à jouer fait plaisir à voir.

Et on les comprend. La joie, c'est le sentiment principal que je garderai de cette représentation. Encore une fois: Viva Verdi!


dimanche 13 août 2017

Mort sur le Nil | Aida | Salzbourg | 12/08/2017 (TV)

Enfin elle a eu lieu, cette diffusion télé que j'attends depuis le début de l'été. Merci Arte pour ce moment, qui fut pour moi très bon. Voici donc un petit compte-rendu à presque chaud.

Évacuons en premier le sujet de la mise en scène. Dans les plus: de belles images, de beaux costumes, de belles lumières. Dans les moins: aucun théâtre. Mais fallait-il s'attendre à autre chose en confiant la mise en scène à une vidéaste/photographe? Que ne lui a-t-on adjoint un vrai professionnel du théâtre? Si faute il y a, elle n'est pas chez Shirin Neshat, qui a fait, et bien, ce qu'elle sait faire, elle est chez la direction du festival qui lui a donné une mission d'une ampleur déraisonnable, sachant en plus qu'Aida, opéra où il y a somme toute peu d'action (un livret en cela très wagnérien, je trouve) n'est jamais facile à mettre en scène. Je reconnais un grand mérite à ce qui est donc une mise en images: pas de kitsch égyptien (pas comme à Orange) et une scène finale épurée d'une grande beauté.

Côté fosse, les Wiener nous ont gratifiés de belles couleurs, surtout chez les vents, mais je n'ai pas été emballée. J'ai trouvé Muti assez uniformément lent et majestueux, cela manquait à mon goût de contraste et de dynamique, notamment dans les ballets, peu enlevés... bref, il manquait la fougue. Les choeurs d'ailleurs m'ont semblé un peu apathiques. Reste le final, où Muti se montre d'un lyrisme poignant qu'on eut aimé entendre plus tôt. Moins de rigueur et plus de coeur en somme.

Côté chanteurs, un beau Roi de Tagliavini, d'une grande noblesse, et un messager et une sacerdotessa sonores et bien chantants. Par contre, le Ramfis pâteux se Belosselsky m'a agacée. Que de lourdeur!!!
Luca Salsi est un Amonasro qui en impose, à l'aigu glorieux et au phrasé racé. Il réussit à faire grande impression dans un rôle assez court. C'est une vraie performance.
Ekaterina Semenchuk est, comme avec Pappano à Rome, une belle Amnéris. Elle était il me semble la seule du quatuor principal à ne pas effectuer sa prise de rôle. L'aigu est splendide, les graves toujours trop poitrinés pour moi, et la chanteuse assez peu investie, sauf dans la scène du jugement où elle lâche les chevaux. À croire qu'elle se réservait pour ça.
En Radamès, Francesco Meli effectuait une prise de rôle qui m'a étonnée quand elle a été annoncée: je ne l'y attendais pas. Beau défi, partiellement relevé. Vocalement, après un Celeste Aida bien phrasé, avec une grande attention au mot, mais nerveux et frisant l'accident sur le morendo final, il a progressivement pris ses marques, nous livrant un Radamès plus tendre que d'habitude, ne cédant jamais à la tentation du volume mais manquant parfois un peu d'épaisseur dans les ensembles. Ceci dit, il se chauffe au fur et à mesure et réussit une très belle seconde partie, culminant dans une scène finale de haute tenue, où il fait preuve d'un souffle infini et ose des demi-teintes de folie. Hélas, côté caractérisation, la mise en scène ne l'aide pas. Habillé comme un militaire puis comme un Jedi, jeune et séduisant, il a fière allure... mais c'est à peu près tout. Meli n'est pas un acteur né, alors quand en plus on ne lui donne rien à faire qu'à baisser les yeux avec un air coupable ou à lever le menton pour faire martial... je lui souhaite de garder le rôle à son repertoire et d'avoir l'occasion de l'approfondir scéniquement.
Reste la reine de la soirée: la céleste Aida d'Anna Netrebko. Fracassante prise de rôle. Quel timbre, pulpeux, riche en couleurs, quelle homogénéité des registres, quels aigus filés de folie!!! Elle réussit le tour de force d'allier des graves incroyables, jamais forcés, à des aigus limpides comme de l'eau sans qu'on entende jamais de passages. Mais j'ai quand même des réserves, essentiellement sur le souffle. Est-ce dû aux tempi lents de Muti? Elle respire trop souvent et à contre-texte, brisant la ligne là où on la sent capable pourtant de conduire une longue phrase. Quel dommage! J'espère que cela disparaîtra avec la fréquentation d'un rôle qui désormais lui appartient sans conteste. Alors mon bonheur sera complet!

PS: cette Aida sera disponible un mois sur Arte Concert et fera l'objet d'un DVD édité par C-Major.

mardi 13 juin 2017

Brillez, belle Tatiana! | Eugène Onéguine, ONP 11/06/2017

Avant dernier spectacle de ma saison : Eugène Onéguine dans la version déjà vue de Willy Decker.
Je me réjouissais de réentendre Peter Mattei dans un rôle majeur du répertoire pour baryton et de découvrir la Tatiana de Sonya Yoncheva dans la même mise en scène que celle dans laquelle Olga Guryakova m’avait enchantée il y a des années.
Mais hélas, Yoncheva a décidé, très en amont, de se retirer, ne désirant plus chanter le rôle, remplacée par une inconnue à mon bataillon : Nicole Car (je précise que je ne me suis pas reportée sur les dates avec Netrebko car elle n’a pour moi plus l’âge du rôle, qu’elle aborde à mon sens 10 ans trop tard, tant vocalement que physiquement).

Et quelle grande et belle découverte que Nicole Car ! Elle a non seulement la voix du rôle, claire, bien projetée, veloutée, jamais forcée, mais en plus elle a la vérité absolue du personnage : elle est Tatiana, de la jeune fille rêveuse des 2 premiers tableaux à la femme épanouie à défaut d’être heureuse du troisième… au point que ma petite dernière n’arrive pas à comprendre que son vrai nom n’est pas Tatiana !
Face à elle, l’Onéguine de Mattei impressionne pas les moyens ainsi que par l’homogénéité d’une voix qui s’épanouit sans difficulté aucune sur toute la tessiture et par un timbre d’un charme fou. Ces amants magnifiques transcendent la dernière scène, déchirante de vérité et de beauté musicale.

Les seconds rôles sont également de grande qualité : très beau Lenski de Pavel Černoch, dont la voix, à défaut d’être très puissante, a un joli timbre argenté et qui émeut dans son air d’adieu ; la désormais bien connue Madame Larina d’Elena Zaremba assure avec noblesse et l’Olga de Varduhi Abrahamyan a des graves somptueux même si, dans son interprétation, elle semble beaucoup plus mûre que Tatiana, qui est censée être sa sœur aînée. Enfin, magistral Prince Grémine d’Alexander Tsymbalyuk : noblesse de l’émission, graves abyssaux, prestance : splendide.
Les chœurs de l’ONP, dans un bon jour (ce n'est pas toujours le cas pour les matinées), réussissent quant à eux tous leurs numéros et notamment le chœur des paysans du 1er acte, toujours galinodermiphère.

Et enfin, mon grand cri du cœur du jour : qu’est-ce que c’est bien, l’opéra, avec un chef plus « pêchu » que Philippe Jordan ! Dynamisme, transparences, caractère… voilà ce que Edward Gardner a su insuffler à l’orchestre en cette après-midi et qui nous manque tant lorsque les musiciens ronronnent sous la baguette monotone de son confrère helvète. Mention spéciale au hautbois solo, très en verve dans l’air de la lettre.

Une représentation pour laquelle je n'ai pas de réserves musicalement, ce n’est pas tous les jours à l’ONP !

mercredi 10 mai 2017

Est-ce toi, Pelléas? | Pelléas et Mélisande, TCE 09/05/2017

A cause des élections qui m’ont pas mal occupée ces derniers temps, j’ai accumulé beaucoup de retard sur mon blog. Je ne chercherai pas à le rattraper, mais je remets le couvert pour vous donner mon avis sur ce Pelléas et Mélisande au Théâtre des Champs Elysées.

C’était la première, hier. Au milieu des people (le costumier, Christian Lacroix, le directeur de l’Opéra de Paris, Stéphane Lissner, à qui je me suis retenue de dire tout le mal que je pense de la saison 2017-2018 et de la politique tarifaire) et des mamies à perlouzes venues se gausser du texte de Maeterlinck, je me suis sentie un peu décalée, moi pour qui Pelléas est une émerveillement toujours renouvelé. J’attendais beaucoup de cette production. Attentes seulement à moitié satisfaites car cette soirée était ma foi sans surprises.

La mise en scène d’Eric Ruf est littérale, pas particulièrement belle (que de marron…), un peu Klimt, un peu Chéreau, pas très inventive. Quelques belles images, de belles robes pour Mélisande et… pas beaucoup de théâtre. Par contre, une gestion intelligente des transitions entre les tableaux qui mériterait de faire école.

Louis Langrée à la tête du National nous délivre une prestation très Wagnérienne (le final!), riche de clairs obscurs, miroitements et vagues… en somme, ce qu’on attend quand on va entendre Debussy avec cet orchestre dont c'est le répertoire.
Côté cast, un Yniold qui chante juste, car femme (Jennifer Courcier), mais sans ce côté irréel des sopranos garçons, une Geneviève poignante dans sa lecture de la lettre mais avec 3 voix au moins, changeant de place et de couleur en permanence (Sylvie Brunet-Grupposo), un Golaud bien chantant (Kyle Ketelsen) mais se prenant fréquemment les pieds dans le texte et au final assez peu émouvant, et Petitbon qui fait du Petitbon : sons aplatis pour « faire mystérieux », personnage mi femme mi poupée, comme on s’y attendait. Face à elle, le Pelléas bien connu de Jean-Sébastien Bou n’a plus aujourd’hui les aigus de sa dernière scène, même s’il conserve cette allure et ce timbre juvénile. Seule découverte de ma soirée : l’Arkel de Jean Teitgen : voix saine passant aisément l’orchestre, humanité et grandeur : j’ai rarement entendu ce rôle aussi bien chanté. La salle ne s’y trompe pas, qui lui réserve la plus grosse acclamation aux saluts.

Une soirée somme toute assez convenue… c’est dommage.

Photo Vincent Pontet TCE

dimanche 5 février 2017

Verdi au sommet! | Don Carlo, Teatro Alla Scala, 04/02/2017

Oui, Milan c'est plus sympa au printemps. Mais quand une production dont j'ai eu vent il y a trois ans déjà se monte, que c'est un cast de tout premier ordre et que c'est mon Verdi préféré, tant pis s'il faut affronter la pluie et la nebbia milanese!

Ceux qui me suivent savent que je comptais les jours jusqu'à ce Don Carlo en version italienne en cinq actes. D'abord pour la prise de rôle de Francesco Meli, pour moi le seul vrai ténor verdien d'aujourd'hui, ensuite pour le reste du cast : pour une fois, tous les rôles étaient distribués à des chanteurs parmi les meilleurs pour chacune des parties. Enfin, parce que la direction était confiée à un vrai grand chef : Myung-Whun Chung, dont j'avais apprécié le Boccanegra à la Fenice en 2015 (hélas seulement à la télévision). Et puis, la Scala, outre que c'est une toute autre atmosphère que Bastille, c'est là qu'il faut entendre Verdi. Ce théâtre a une âme. Et moi, et bien ce sont des choses que je ressens, même si ça peut paraître absurde. Je rajouterai que j'avais vu la production de Peter Stein lors de sa diffusion depuis Salzbourg, et qu'à défaut de la trouver passionnante, elle m'avait semblée esthétiquement plutôt réussie.

Voilà pour les motivations. Alors, le spectacle fut-il conforme à mes attentes? À part quelques réserves mineures, la réponse est : oui, absolument!

Quelques brefs mots pour commencer sur cette production de Peter Stein ; brefs car... et bien il n'y a pas grand chose à dire. Ce n'est pas une mise en scène, c'est une mise en décors, beaux au demeurant. Direction d'acteurs : néant. Idées? Idem. C'est le degré zéro du théâtre. Des jolis décors et une plate illustration du livret. La seule qualité que j'y trouve c'est que ça permet de se concentrer sur la musique.

Côté direction d'orchestre, il y a aussi à redire : Chung met bien un acte et demi à se chauffer. On n'est vraiment dans le style qu'à partir du second tableau de l'acte deux. Mais la dernière partie (à partir de la scène de l'Inquisiteur) est absolument grandiose. Je n'en dirai pas autant des choeurs de la Scala : c'est petit et pas très en place... la scène de l'Auto da Fe en souffre car elle manque de grandeur. Quand on les secoue un peu, les choeurs de l'ONP sont bien meilleurs. Je balance une tomate au passage aux instrumentistes présents sur scène au moment de cet Auto da Fe : messieurs, quand on est musicien à la Scala, on n'a pas besoin de son petit carton avec ses trois lignes de notes sur la trompette, comme à l'harmonie municipale de Tourcoing... et non, je n'accepte pas l'excuse : "c'est pour la couleur locale flamande".

Passons au cast. J'ai été très heureuse d'entendre enfin en live l'Inquisiteur d'Erik Halfvarson, originellement non prévu. Il est fantastique. Oui, la voix bouge et est dépourvue de legato, mais on s'en moque! C'est censé être un vieillard de toutes façons. Le fait est qu'il EST l'Inquisiteur : effrayant, dantesque... lui seul peut résister au Filippo de Ferruccio Furlanetto. Car en voilà un autre de monstre sacré, dans un très grand soir hier. Voix remontée dans le masque, il arrive néanmoins à camper en deux phrases un roi autoritaire, ombrageux mais profondément humain. Et quel style, quelle puissance! Un monument du chant verdien, et un pur bonheur à entendre. Chapeau bas messieurs les basses. Face à cette statue du commandeur, Simone Piazzola n'a pas la tâche facile. Mais il réussit un Posa plein de jeunesse, de fraîcheur et de fougue, crédible et admirablement phrasé. La scène de la mort de Rodrigo est poignante, sans effets disgracieux et avec une ligne impeccable. Ne manque qu'un peu plus de projection dans les ensembles. Ekaterina Semenchuk reprenait son Eboli, déjà entendue dans la même production à Salzbourg. Elle n'a malheureusement pas toutes les facettes du rôle, car la séduction ne fait pas partie de son vocabulaire expressif. Sa chanson du voile comme son numéro de charme au troisième acte sont peu convaincants (ces hululements sur la vocalise... argh). Par contre, dès qu'il s'agit d'être vindicative ou de faire preuve d'autorité, on la retrouve: elle ne fait qu'une bouchée des sauts de registres du périlleux "O don fatale", dont elle est une des rares à posséder la tessiture.

Je finirai par le couple de premiers rôles. Qu'il soit noté que je rejoins ce jour le fan club des inconditionnels de Krassimira Stoyanova. Quelle Elisabetta elle fait! Ardente, émouvante comme peut savent l'être, digne et fragile... elle donne tout, sans retenue. Et quelle voix! Si elle n'a pas complètement les moyens du rôle (c'est plus un grand lyrique qu'un spinto), elle compense par une technique impeccable et un timbre d'une douceur, d'un velouté infini. Son contrôle du souffle et de la dynamique est à enseigner dans tous les conservatoires. Et ces aigus filés... pas une once de dureté dans ce timbre, pas un changement de couleur, c'est prodigieux de contrôle et de justesse. Dans le dernier tableau, elle aurait fait pleurer des pierres.
"Et lui alors?" Me direz-vous? Et bien il était au rendez-vous. Pour sa prise de rôle, Francesco Meli nous a gratifiés d'une interprétation qui l'installe d'emblée parmi les grands Carlo. La ligne est toujours irréprochable, le style aristocratique, la diction parfaite et le timbre lumineux, de cette clarté argentine qui va si bien au personnage lunaire qu'est l'Infant. L'incarnation, si elle est vocalement déjà très au point, demandera à être affinée niveau théâtre, mais vu l'absence totale de direction d'acteurs, il fait ce qu'il peut (il n'a pas pour le théâtre les talents de Kaufmann... mais il a la voix du rôle, lui!). Alors oui, il m'a oublié un départ dans "Dio che nell'alma infondere" et craqué un aigu au troisième acte (je l'ai senti venir celui-là, j'ai littéralement entendu sa gorge se serrer) mais c'est une question de confiance, ça disparaîtra avec la fréquentation du rôle (c'est ce qui s'est passé pour son Manrico). Le fait est qu'on a enfin le ténor italien pour les grands rôles verdiens, que personnellement j'attendais depuis un certain temps, et ça me rend hyper heureuse. Au dernier acte, dans son duo avec Stoyanova, Meli m'a offert un de mes plus beaux moments d'opéra. Le bonheur, tout simplement. Et Viva Verdi!

Photos : Teatro alla Scala