samedi 6 décembre 2014

Simon Boccanegra, Fenice 2014 (diffusion tv). Deux confirmations et deux découvertes

J'ai eu, tout à fait par hasard, l'occasion de visionner à la suite deux versions de Simon Boccanegra. Les casts sont similaires, l'écart entre les deux productions d'à peine un an. Et pourtant, le ressenti n'a rien à voir. L'une, Muti à Rome en 2013, laisse un sentiment d'inachevé, d'empesage, d'absence d'émotion; l'autre, Chung cette année en ouverture de la Fenice, emporte tout sur son passage: une révélation.

Premier facteur: la mise en scène. Celle de De Rosa à la Fenice libère les corps des chanteurs, leur permet de se trouver autrement que côte à côte, d'où l'intensité et le drame. Rajouter le travail superbe sur les vidéoprojections, les lumières et les mouvements de foule et vous avez un ensemble absolument irréprochable. Une vraie réussite. À côté, la mise en scène figée, corsetée de Rome, si elle n'est pas laide en soi, bridait tout jeu d'acteur, ne distillant que l'ennui.

Second facteur: le chef. Muti est fidèle à la lettre verdienne, certes, mais il crispe visiblement les chanteurs qui jettent sans cesse des regards vers la fosse. Chung, tout en proposant une vision tout aussi accomplie de l'oeuvre, les accompagne, les sertit dans un écrin orchestral miroitant, leur permet d'être vraiment ensemble dans la musique, pour un résultat émouvant et extrêmement cohérent.

Passons au cast. Deux confirmations. Premièrement, Maria Agresta est la plus belle Amelia que j'ai entendue depuis Freni. Elle a tout: la couleur de spinto, les aigus filés, les graves assurés. Elle passe avec une aisance confondante de l'angélisme à l'autorité, de la prière à l'imprécation. Elle dessine un personnage aussi attachant que subtil, son jeu étant quant à lui libéré du carcan du costume XVIe de Rome. Bravissima.

Secondo, Francesco Meli est un très bel Adorno. Son personnage de jeune homme fier, fougueux et emporté réussit à rendre sympathique et attachant cet amoureux un peu niais qu'est Adorno. L'incarnation vocale, moins tendue qu'à Rome, a muri, avec des phrasés toujours nobles et une grande palette de nuances. Il est également ici beaucoup plus émouvant qu'à Rome, son "Dammi la morte" à genoux devant le Doge est simplement déchirant. Bravissimo anche lui.

Et donc, deux découvertes (du moins pour moi). La première, le Paolo de Julian Kim. Voix noire, pleine d'autorité, italien précis... ce jeune chanteur tire de son rôle modeste un personnage de traître amoureux passionnant, préfigurant Iago. Rarement Paolo aura autant existé sur scène. Remarquable et définitivement à suivre.

La seconde (je garde le meilleur pour la fin): le rôle titre. Là où le Doge de Petean m'indifférait à Rome, celui de Simone Piazzola, même pas 30 ans (!), est tout simplement enthousiasmant. Son physique d'empereur romain, sa voix claire et sonore lui permettent de passer avec crédibilité et autorité du jeune homme amoureux du prologue au Doge / père des 3 actes suivants. Quelle maturité, c'est sidérant. Il alterne sans problème la tendresse dans le duo avec Amelia et la puissance du "e vo gridando pace" de la salle du trône. Il fait tout le prix de ce Boccanegra vénitien et j'ai hâte de pouvoir un jour l'entendre live... pourquoi pas à Paris? Mention spéciale pour le Fiesco de Prestia, très bien phrasé et qui fait penser à Van Dam. Ses scènes avec Piazzola sont de vraies réussites.

Pour finir, je vais jouer à mon petit jeu de l'impresario et faire un voeu (après tout, c'est bientôt Noël). Puis-je rêver qu'un théâtre aura l'idée de prendre le même cast et d'en faire un Don Carlo? Meli dans le rôle titre, Agresta en Elisabetta, Piazzola en Posa et Prestia en Filippo, plus une Eboli de valeur, on aurait une distribution aussi cohérente que superbe. Je croise les doigts!

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